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vis de service funèbre, cette sublime et touchante cérémonie, se changer en une si froide momerie de paroles.

Je m’approchai de la fosse. Le cercueil avait été déposé sur le sol. Y étaient inscrits le nom et l’âge du défunt — « Georges Somers, âgé de 26 ans. » Il avait fallu qu’on aidât la pauvre mère à s’agenouiller à la tête. Ses mains flétries étaient jointes, comme si elle eût prié ; mais je pus m’apercevoir à une légère agitation du corps, au mouvement convulsif des lèvres, qu’en proie aux déchirements d’un cœur de mère, elle regardait fixement tout ce qui lui restait de son fils.

Le service fini, les dispositions furent prises pour confier le cercueil à la terre. Il y eut cette agitation inquiète qui retentit si rudement sur les sentiments de douleur et d’affection ; les ordres donnés de ce ton froid qui préside aux corvées ; le bruit de la bêche qui s’enfonce dans le sable et le gravier, de tous les bruits celui qui fait le plus de mal devant le cercueil de ceux que nous aimons. Le tumulte qui régnait autour d’elle sembla tirer la mère d’une désolante rêverie. Elle leva ses yeux brillants et les promena languissamment autour d’elle ; ils étaient sans regards. Comme les hommes approchaient avec des cordes pour descendre la bière dans la fosse, elle se tordit les mains et s’affaissa dans une agonie de douleur. La pauvre femme qui l’accompagnait la prit par le bras, s’efforçant de la soulever de terre et de murmurer à ses oreilles quelque chose comme des consolations : — « Allons, voyons — allons, voyons — ne prenez pas cela si douloureusement à cœur. » Elle ne put que secouer la tête et se tordre les mains ; tout en elle disait : je ne peux pas être consolée.

Comme ils descendaient le corps dans la terre, le craquement des cordes sembla la torturer ; mais quand un obstacle fortuit faisait heurter le cercueil, toute la tendresse de la mère se faisait jour, comme si quelque mal pouvait arriver encore à celui qui se trouvait si loin par delà les souffrances de la terre.

Je n’en pus voir davantage — mon cœur se gonfla dans ma gorge — mes yeux se remplirent de larmes — il me sembla que je jouais un rôle cruel en restant debout à repaître mes yeux oisifs de cette scène d’angoisse maternelle. Je me dirigeai lentement