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nature a son influence morale ; toutes les passions turbulentes s’assoupissent charmées, et nous sentons s’élever doucement en nous la religion naturelle de l’âme. Quant à moi, il est des sentiments qui me visitent dans une église de campagne, au milieu d’une belle et sereine nature, que je n’éprouve nulle autre part ; et si je ne suis pas plus religieux, je crois que je suis meilleur le dimanche qu’en tout autre jour de la semaine.

Pendant le dernier séjour que je fis à la campagne, il m’arrivait souvent de me rendre à la vieille église du village. Ses ailes pleines d’ombre, ses monuments en ruine, ses sombres panneaux de chêne, toutes choses que rendaient respectables les ténèbres du passé, semblaient en faire un sanctuaire naturel pour les sérieuses méditations. Mais on était dans le voisinage d’une opulente aristocratie, et les préoccupations de toilette ne restaient pas à la porte du temple ; je me sentais continuellement ramené de force vers le monde par l’indifférence et l’orgueil des misérables vers qui s’agitaient autour de moi. Le seul être, dans toute la congrégation, qui parût ressentir profondément l’humble piété du vrai chrétien, et s’y abîmer, était une pauvre vieille femme cassée, pliant sous le faix des ans et des infirmités. Elle portait les traces de quelque chose de mieux que l’abjecte pauvreté ; son extérieur disait l’orgueil modeste qui agonise. Ses vêtements étaient humbles au dernier point, mais ils étaient excessivement propres. Une marque de respect, d’ailleurs bien légère, lui avait été donnée, car elle ne s’asseyait pas au milieu des pauvres du village : seule elle était assise sur les marches de l’autel. Elle semblait avoir survécu à tout amour, à toute amitié, à toute société ; avoir tout perdu, tout, excepté l’espérance du ciel. Quand je la voyais se lever à grand’peine et courber son vieux corps pour la prière, réciter presque tout le temps le livre que sa main paralysée, que ses yeux éteints ne lui permettaient plus de lire, mais qu’elle savait évidemment par cœur, je sentais que la voix vacillante de cette pauvre femme laissait, en montant, bien loin derrière elle les répons du clerc, la grande voix de l’orgue, ou les chants du chœur.

J’aime à errer autour des églises de campagne, et celle-ci se trouvait si délicieusement située qu’elle m’attirait souvent. Debout sur une petite colline autour de laquelle s’enroulait gra-