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rieur. Ils se rendaient ordinairement à l’église dans l’équipage le plus modeste et souvent à pied. Les jeunes demoiselles s’arrêtaient pour converser de la manière la plus amicale avec les paysannes, caressaient les enfants, et prêtaient l’oreille aux histoires des humbles villageois. Leurs figures étaient ouvertes et pleinement belles, avec un cachet de haute distinction, mais, en même temps, une gaieté franche, une affabilité pleine d’attraction. Leurs frères étaient grands et bien faits. Leurs vêtements étaient à la mode, mais simples ; ils étaient rigoureusement élégants et convenables, mais n’avaient rien de maniéré, rien qui fît penser au dandy. Tous leurs mouvements étaient aisés et naturels ; ils avaient cette grâee imposante et cette noble franchise qui annoncent des âmes nées libres qui n’ont jamais été arrêtées dans leur essor par le sentiment de l’infériorité. La dignité réelle respire une hardiesse vigoureuse qui ne craint jamais le contact des hommes, quelque chétifs que soient ceux auxquels elle se mêle ; il n’y a que l’orgueil bâtard qui soit morbide et sensitif, qui frissonne toutes les fois qu’on le touche. J’étais heureux de les voir s’entretenir avec les paysans ; ils causaient agriculture, chasse, pêche, toutes choses auxquelles se complaît si fort la noblesse de la contrée. Dans ces entretiens il n’y avait ni hauteur d’une part ni servilité de l’autre ; et le respect habituel, du paysan vous rappelait seul la différence des positions.

Une famille contrastait beaucoup avec celle-ci : c’était celle d’un riche bourgeois, lequel avait amassé une fortune immense et, ayant acheté les terres et le château d’un noble ruiné du voisinage, s’efforçait de revêtir les manières et toute la dignité d’un maître héréditaire du sol. La famille arrivait toujours à l’église en princes. Ils s’y faisaient majestueusement traîner dans une voiture couverte d’armoiries. Le cimier dardait ses rayons argentés de tous les points du harnais où il avait été possible, de placer un cimier. Un épais cocher, au chapeau à trois cornes richement galonné, dont une perruque blonde encadrait de ses boucles la face vermeille, était assis sur le siège, avec un danois au poil lisse auprès de lui. Deux laquais, en livrées magnifiques, avec d’énormes bouquets et des cannes à pommes d’or, s’appuyaient nonchalamment derrière. La voiture s’élevait et s’abaissait sur ses longs ressorts avec une singulière dignité de mouve-