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« Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre ? » Qui donc est assez parfait parmi nous pour se croire en droit de juger les autres ? Mes frères, vivons tous en paix, aimons même ceux qui s’égarent et sachons vivre avec eux en harmonie, afin de les ramener par la charité. »

Les réactionnaires de notre bonne ville voudraient-ils bien un peu méditer ces paroles ? Les journaux qui nous insultent voudraient-ils au moins les lire ?

Écoutons aussi St. François de Sales, écrivant à l’un de ses curés :

« Je ne saurais trop vous remettre en mémoire la nécessité de traiter les ennemis de la foi en toute sorte de douceur. La religion et la charité nous ordonnent également de vivre en paix et en concorde avec tous. Ces hommes égarés n’en sont pas moins nos frères en Jésus-Christ. Notre premier devoir est d’être bons comme Celui qui est mort pour nous. »

Voilà de la tolérance évangélique ! voilà du vrai esprit chrétien ! Soyez en paix avec tout le monde. Vous êtes tous frères, même si vos idées religieuses sont différentes.

VIII

Et Mgr Cœur ne disait-il pas, dans l’un de ses derniers sermons, prononcé quelques mois seulement avant sa mort : « Le vrai chrétien doit savoir aimer même ceux qui ne pensent pas comme lui ? »

Et l’un des hommes les plus illustres de notre temps, Monseigneur Maret, évêque de Sura, ne disait-il pas dans une magnifique allocution prononcée à Paris il y a six ans : « C’est peu d’être juste, il faut aimer. Il faut aimer nos adversaires et nos frères errants. Que d’intelligences élevées, que de nobles cœurs, que d’intentions droites parmi eux ! Ce sont souvent nos injustices, nos colères, nos amertumes, qui éloignent de la vérité des âmes faites pour s’élever jusqu’à elles. »

Ah ! si la réaction n’avait que des amertumes ! mais quand avons-nous vu chez elle autre chose que l’ostracisme, la haine et l’injure ? Je parle ici spécialement de ses journaux !

Eh oui ! La réaction nous conseille de haïr les protestants, et de grands évêques nous conseillent de les aimer ! De quel côté se trouve la religion en esprit et en vérité ? Elle est nécessairement avec ceux qui conseillent l’amour et non avec ceux qui conseillent la haine, ou au moins proscrivent toutes relations et essaient d’empêcher tout rapprochement.

Et quand l’évêque Duchâtel adressait au cardinal de Tournon, qui, dans le conseil du roi, avait opiné pour la violence contre les Huguenots, cette grande et mémorable parole : « J’ai parlé en évêque, et vous avez parlé en bourreau : » lequel, du cardinal ou de l’évêque, exprimait le véritable esprit de l’Évangile ? Mais comment donc une presse qui prétend s’inspirer de l’Évangile, qui prétend hypocritement voir chez nous la haine de l’Évangile, peut-elle ne soutenir, sur le sujet de la tolérance, que les principes que l’Évangile condamne ?

« Aimez-vous les uns les autres : » cela veut-il dire : « Chassez d’au milieu de vous ceux qui ne pensent pas comme vous, et n’ayez aucune espèce de rapports avec eux  » ?

IX

Voici en quelques phrases toute la morale de l’Évangile.

Vous la trouverez dans St. Luc, ch. 6, versets 31, 32, 33, 35, 36 et 37 :

« Faites à autrui ce que vous voudriez qui vous fût fait à vous-même. (C’est-à-dire, donc, conduisez-vous envers les protestants comme vous désirez qu’il se conduisent envers vous.) Si vous n’aimez que ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on, puisque les gens de mauvaise vie aiment aussi ceux qui les aiment ? Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quel gré vous en saura-t-on, puisque les gens de mauvaise vie font la même chose ?… C’est pourquoi aimez vos ennemis, faites du bien à tous et prêtez sans rien espérer, et alors votre récompense sera très grande, et vous serez les enfants du Très-Haut, parce qu’il est bon aux ingrats et aux méchants. Soyez pleins de miséricorde comme votre père est plein de miséricorde. Ne jugez point, et vous ne serez point jugés. »

Que comportent ces sublimes paroles, sinon la cordialité, l’union, l’amour universel ?

« Faites du bien à tous, prêtez sans rien espérer : » cela veut-il dire : n’ayez aucune espèce de rapports avec des hommes vivant en communauté sociale avec vous, des hommes honnêtes et de bon vouloir comme vous, et traitez-les comme s’ils étaient atteints de lèpre morale ?

Une des idées qui prêtent le plus à rire à la réaction, c’est celle de fraternité universelle. Et pourtant, quelle est la seule signification possible de ce passage, sinon l’obligation de traiter tous les hommes fraternellement ; sinon l’obligation de les regarder et de les accueillir tous comme des amis et des frères ?

Le crime seul doit séparer les hommes, jamais les opinions sincères, quelque divergentes qu’elles soient.

Oui, certes, la réaction rit au mot de fraternité, elle qui n’a jamais fait autre chose que haïr et persécuter ; elle surtout qui semble si glorieuse de pouvoir revendiquer tout un passé de bûchers et de bourreaux ; elle qui a su inventer vingt mensonges et falsifier l’histoire pour justifier les bûchers aux yeux des ignorants !

Non, Messieurs, ce n’est pas toujours chez la réaction que nous trouvons les vraies notions de l’Évangile, car ses adeptes ne font souvent qu’encourager, conseiller, montrer le triste exemple de l’ostracisme et de la persécution morale au milieu de nous ! Ce n’est pas là, la religion