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au moins, l’indépendance de la pensée humaine ; du siècle qui fait disparaître les castes et consacre peu à peu en faveur des peuples le grand dogme de l’égalité politique et civile ; du siècle qui a irrévocablement substitué le principe de la persuasion à celui de la contrainte ; du siècle conséquemment qui a substitué l’esprit de fraternité à celui de rivalité hostile ; du siècle qui a plus fait pour consacrer les libertés publiques que tous ceux qui l’ont précédé, réunis ; du siècle dans lequel toutes les causes justes trouvent des sympathies, les réactionnaires seuls aujourd’hui se montrant les implacables ennemis du droit, et de la liberté, et souvent de la conscience humaine ; du siècle enfin qui a plus fait pour l’avancement de l’humanité que tous les autres ensemble, puisqu’il a, par la presse et par la vapeur, fait parvenir le livre et le journal jusque dans les recoins les plus reculés des pays les plus inconnus ?

Eh bien, franchement, aujourd’hui, l’intolérance, est un anachronisme, et il semble que l’ignorance seule devrait rester entachée de ce vice de la pensée. Et elle est non-seulement un anachronisme, mais une violation de tous des principes que l’on nous prêche. Elle n’a jamais produit que du mal, le passé de l’humanité est là pour le prouver : et quant au présent, le simple bon-sens est là pour le faire craindre.

VI

Quoi ! toujours des préjugés entre gens faits pour s’entendre et pour s’estimer réciproquement ! Toujours des aspérités là où l’harmonie devrait régner ! Toujours la guerre au nom d’une religion qui repose sur le principe fondamental de la paix : « Aimez votre prochain comme vous-mêmes ! « Mais le prochain, est-ce seulement les co-religionnaires, ou le genre humain tout entier ? N’y devrait-on pas comprendre au moins tous les chrétiens ?

Prenez toutes les sectes chrétiennes. N’y trouvez-vous pas à peu près la même somme de morale, la même somme de religion, la même somme de bienfaisance publique ? Chacune de ces sectes n’offre-t-elle pas ses esprits élevés, ses nobles intelligences, ses grands cœurs, ses âmes d’élite ? Y a-t-il moins d’intentions droites chez elles que chez nous !

Eh bien ! là où une certaine école nous prêche la haine par ses journaux, nous venons, nous, essayer de faire pratiquement de la conciliation, de la cordialité, de la sympathie, de l’union. Nous voulons la réunion de tous les bons cœurs dans l’obtention d’un but commun, le progrès général

Pourquoi ces éternelles distinctions entre protestants et catholiques dans l’ordre purement social ? Les sectes dissidentes ne possèdent-elles pas autant d’honnêtes gens que nous ? Les chrétiens n’ont-ils pas tous également contribué à la civilisation moderne ? N’est-ce pas chez les nations chrétiennes seules que la civilisation a atteint son apogée ? Les nations protestantes n’y apportent-elles pas chaque jour leur contingent tout comme les nations catholiques ? Or, si nous contribuons tous également au bien général, cessons donc de nous regarder comme ennemis, respectons donc mutuellement nos convictions, et sympathisons au moins avec les personnes, si nous ne sympathisons pas toujours avec les doctrines ! Qu’est-ce qui nous empêche d’être bons catholiques et de vivre en parfaite harmonie avec les protestants ? La religion bien entendue, loin de nous le défendre, nous l’ordonne ! C’est là tout à la fois la religion et le bon sens ! Ce n’est peut-être pas sans doute la religion de la réaction, mais c’est certainement la religion de l’Évangile.

VII

Mais ici je vois la réaction[1] crier au libre-penseur, à l’ennemi de la religion. — Vous voulez faire de nous des protestants —[2] va-t-elle s’écrier, avec le grand bon sens qui la distingue. — Eh ! non, je ne veux qu’essayer de vous inculquer le sentiment de l’harmonie et de la charité, celui auquel vous semblez être le plus hostiles.

Heureusement ici, Messieurs, je me trouve en assez bonne compagnie.

Je vous rappellerai, par exemple, le digne évêque du Bellai, indiquant, pendant une époque de persécution des protestants, comment les fidèles devaient se conduire à leur égard.

« L’indulgence et la douceur, disait-il, peuvent les ramener à nous, jamais la rigueur et la violence. Brebis égarées, nous devons courir après elles pour les persuader et non pour les punir. Gardons-nous surtout des paroles blessantes et injustes ! Point de termes insultants ! La charité les proscrit. Le Sauveur n’a-t-il pas dit aux accusateurs de la femme adultère :

  1. Je dois dire de suite que j’entends par réaction, non le clergé comme corps religieux, mais ce parti composé de prêtres et de laïques qui veut tout contrôler dans le domaine temporel au nom de la religion. C’est ce parti qui ne se sert de la religion que pour arriver à ses fins temporelles. C’est ce parti qui veut dominer au nom de Celui qui lui a défendu la domination. Pour ce parti, la religion n’est qu’un moyen de soumettre l’esprit dans l’ordre politique, afin de lui dicter l’idée monarchique, et de lui faire regarder comme anti-chrétienne l’idée de la suprématie des majorités. Ce parti représente à la fois le sacerdotalisme et le torysme unis pour opposer une barrière infranchissable au développement rationnel des libertés publiques. Le sacerdotalisme se résume dans la suprématie du prêtre sur le temporel, et le torysme dans la suprématie de l’individu ou de la caste sur la nation ; c’est-à-dire dans la domination de la minorité. St. Thomas établit formellement le droit des majorités à déléguer le pouvoir et à le surveiller, mais le sacerdotalisme met habituellement de côté, dans l’intérêt de sa soif de domination, toutes les grandes traditions chrétiennes ; et quand ses instruments, les écrivains de la réaction, ont falsifié les pères de l’église et l’histoire pour combattre l’idée de la liberté, il les a applaudis et encouragés.
  2. Cela arrivait dès le lendemain, dans le Nouveau-Monde.