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sultes mutuelles ! Nous croyons que des hommes servant le même Dieu, et possédant en commun ces mêmes principes fondamentaux du Christianisme qui ont civilisé le monde, devraient cesser d’être perpétuellement en lutte les uns avec les autres sous prétexte de religion. Singulière manière de comprendre la religion que de tenir les hommes en perpétuelle hostilité ! Ne pouvons-nous rester fidèles à notre culte tout en vivant en bons termes avec ceux qui ne pensent pas comme nous ?

Paix aux hommes de bonne volonté ! a-t-il été écrit. D’où viennent donc ces écoles qui semblent n’avoir d’autre mission que d’empêcher les hommes de bonne volonté appartenant aux diverses dénominations religieuses d’être en paix les uns avec les autres ? Sont-ce vraiment là des écoles chrétiennes ?

Le plus fondamental de tous les principes de la religion est d’aimer Dieu et de s’aimer les uns les autres. Voilà les lois et les prophètes.

Eh bien, on dirait qu’il y a des gens qui ne savent tirer de la religion que l’esprit d’intolérance et de haine.

On a osé écrire en toutes lettres qu’admettre des gens de diverses croyances dans notre Institut, c’était montrer qu’on les acceptait toutes, conséquemment que l’on n’en avait aucune. Ainsi donc, vivre en paix avec son voisin, c’est admettre que l’on partage toutes ses opinions. Voilà les habiles conclusions de la réaction ! Si le catholique ne dit pas Raca au protestant, cela prouve qu’il est lui-même protestant ! Mais, grand Dieu, pourquoi donc ne rallume-t-on pas de suite les bûchers ! On ne serait que logique après tout. Ah ! c’est sans doute parce que l’on craindrait peut-être, en ce siècle, que l’édificateur du bûcher n’y fût jeté le premier ! Quel malheur que l’on n’ait pas songé à cela plus tôt ! Comme les bûchers se seraient vite éteints !

III

Mais de quoi s’agit-il donc, au fond ?

Nous formons une société d’étude ; et de plus, cette société est purement laïque. L’association entre laïques, en dehors du contrôle religieux direct, est-elle permise catholiquement parlant ? Où est l’audace réactionnaire qui osera dire non ?

L’association entre laïques appartenant à diverses dénominations religieuses est-elle catholiquement permise ? Où est encore l’ignare réactionnaire qui osera dire non ?

Eh bien, dans un pays de religion mixte, où donc est le mal que les esprits bien faits appartenant aux diverses sectes chrétiennes se donnent mutuellement le baiser de paix sur le champ de la science ? Quoi ! quand des protestants et des catholiques sont juxtaposés dans un pays, dans une ville, il ne leur sera pas permis de travailler en commun à leur progrès intellectuel ! Certaines gens ne seront tranquilles que quand ils en auront fait des ennemis, et dans le domaine de la conscience et dans celui de l’intelligence ! Où donc ces gens prennent-ils leurs notions évangéliques ?

Et pourtant, où sont donc la prudence et le simple bon sens ? Ce sont ceux qui sont en minorité dans l’État qui ne veulent endurer personne et ont toujours l’ostracisme à la bouche ! Mais nous vous endurons bien, nous, avec tous vos travers d’esprit, et de cœur surtout ! Imitez donc un bon exemple au lieu d’en donner un mauvais !

Nous formons donc une société littéraire laïque ! Notre but est le progrès, notre moyen est le travail, et notre lien est la tolérance. Nous avons les uns pour les autres ce respect que les hommes sincères ne se refusent jamais. Il n’y a que les hypocrites qui voient le mal partout, et qui se redoutent parce qu’ils se connaissent.


IV

Qu’est-ce, au fond, que la tolérance ? C’est l’indulgence réciproque, la sympathie, la charité chrétienne. C’est le bon vouloir mutuel, donc le sentiment que doivent entretenir les uns pour les autres les hommes de bonne volonté. La grande parole : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté, » est autant un précepte de charité qu’un souhait de paix intérieure à leur adresse.

La tolérance, c’est l’une des applications pratiques du plus grand de tous les principes moraux, religieux et sociaux ; « Faites aux autres ce que vous voulez qui vous soit fait à vous-même. » La tolérance, c’est donc la fraternité, l’esprit de la religion bien comprise.

La charité est la première vertu du chrétien, la tolérance est la seconde. La charité, c’est l’amour actif, le secours : c’est le bon Samaritain pansant le lépreux. La tolérance, c’est le respect du droit d’autrui, c’est l’indulgence pour l’erreur ou la faute ; c’est le Christ disant aux accusateurs de la femme adultère : « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre. »

La tolérance, c’est, au fond, l’humilité, l’idée que les autres nous valent ; c’est aussi la justice, l’idée qu’ils ont des droits qu’il ne nous est pas permis de violer. Mais l’intolérance, c’est l’orgueil ; c’est l’idée que nous valons mieux que les autres : c’est l’égoïsme ou l’idée que nous ne leur devons rien ; c’est l’injustice, ou l’idée que nous ne sommes pas tenus de respecter leur droit de créatures de Dieu.

La tolérance, c’est toujours la vertu, puisqu’elle se résume dans la bonté : l’intolérance, c’est presque toujours la cruauté et le crime, parce que c’est la destruction des sentiments dont la religion exige la présence active au cœur de l’homme.

V

Et pourquoi donc faire de l’intolérance aujourd’hui, dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle : du siècle qui a forcé tous les fanatismes de reconnaître, dans l’ordre des faits