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L’intelligence humaine est comme la vapeur, sa force d’expansion croit en proportion des obstacles qu’on lui oppose. Condensez la vapeur dans un puissant réservoir, elle finira toujours par se dégager de sa prison. Comprimer la raison, écrasez-la sous le poids des préjugés, étouffez-la sous l’étreinte de fer de l’ignorance : elle paraîtra pendant quelque temps impuissante, mais enfin elle brisera ses entraves avec fureur et se montrera au jour plus puissante que jamais. Souvent aussi elle éclate avec fracas et renverse tout sous la fureur de son explosion. Alors malheur à le puissance quelqu’elle soit, politique ou religieuse, qui l’a retenue captive, elle se fera briser sans pitié.

Il n’est pas nécessaire de remonter loin dans l’histoire pour en montrer des exemples, il suffit d’examiner ce qui se passe dans le monde depuis cinq ans. Le Mexique, l’Italie, la Grèce, l’Espagne, se sont régénérés. L’orage gronde en France : tout se révolutionne, tout marche. Pourquoi resterions-nous en arrière des autres peuples. Il est aisé de pressentir une époque qui n’est pas éloignée, où le Canada subira une transformation, où il aura besoin des services d’une génération forte et aguerrie.

L’espérance d’un peuple repose toujours sur ceux à qui appartient l’avenir. Est-ce par une lâche indolence que nous nous montrerons dignes de l’espoir de notre pays ? Est-ce par une mesquine jalousie des uns contre les autres, par un triste acharnement à nous entredéchirer que nous deviendrons les hommes de l’avenir ?

Ce qu’il faut, s’est se réunir comme l’ont fait ceux qui nous ont précédés et qui fournissent aujourd’hui une si belle carrière ; ce qu’il faut, ce n’est plus la guerre, mais l’émulation.

Qu’il me soit permis de rappeler à la jeunesse des devoirs qu’elle à trop longtemps méconnus, il est temps qu’elle secoue sa torpeur. Il y a 24 ans nos devanciers, comprenant ce devoir patriotique, cherchèrent à se réunir et pour cela fondèrent l’Institut. Aujourd’hui nous avons cet Institut qui a grandi et qui invite la jeunesse dans son sein. Par un aveuglement inconcevable quelques-uns d’entre nous refusent d’y venir. Eh bien ! que l’on m’indique une autre institution où nous puissions aller et ne dépendre de personne, où la pensée soit libre et la parole franche et je m’y rends avec empressement. D’un autre côté qu’on me dise pourquoi il faut s’éloigner de cet Institut qui fut créé pour nous et je le laisse sans hésiter. Si on ne peut indiquer d’autre endroit pour nous, nous avons donc le droit de convoquer la jeunesse ici. Que chacun vienne, décidé à défendre ses principes avec passion même, c’est ce que nous voulons.

L’Institut ne demande rien à la jeunesse, au contraire il offre tout, une riche bibliothèque, une collection de journaux variée, des salles spacieuses.

Il faut avoir un empire bien ferme sur soi-même pour ne pas manifester son indignation en face des menées qui se pratiquent pour nous tenir éloignés et divisés. Il ne faut pas l’oublier, les jeunes gens ont toujours été à craindre pour quiconque cherche à dominer, soit dans l’ordre politique soit dans l’ordre religieux. C’est l’âge aux aspirations nobles et désintéressées, l’âge où l’intérêt ne vient pas imposer silence à la conscience, l’âge enfin où l’homme n’a pas encore appris à porter le joug.

Bien souvent j’ai songé avec amertume à la déchéance de notre jeunesse : bien souvent je me suis fait à moi-même les réflexions que je viens d’exprimer. Combien de fois me suis-je pris à regretter cet état de chose : et à espérer des jours meilleurs ? Et ces pensées ne sont pas venues qu’à moi. Combien de jeunes gens que le courant fatal a éloignés de nous ont manifesté le désir de voir disparaitre les barrières qui nous séparent ?

La jeunesse est le cœur d’une nation comme la génération mûre en est l’esprit. Ce n’est pas à dire que l’une exclut l’autre : mais s’il y a dans l’une plus de sève, il y a dans l’autre plus de pondération. Or, quand le cœur cesse ses fonctions, quand il enlève à l’autre agent ses éléments d’actions, d’où peut partir l’initiative ? La jeunesse est le vent, l’âge mûr est le gouvernail. C’est donc à celle-là à se mouvoir, comme c’est à celui-ci à la diriger.

En face de l’apathie quasi générale de nos jeunes amis dans ce pays, apathie qui va croissant de jour en jour à mesure que s’étend sur eux le réseau inextricable qui a paralysé depuis tant d’années nos efforts, comme ces herbes marines qui enlacent le nageur et le retiennent dans leurs gluantes tentacules, devons nous désespérer ? Non, Messieurs, un grand poète l’a dit pour moi « désespérer c’est déserter. » J’ai trop de confiance encore dans la portion vivace de notre population pour craindre qu’elle déserte son poste et abdique ses couleurs.

Qu’elle se relève donc, mais plus forte et plus unie, mais plus énergique et plus libre, mais plus fière et plus digne. Si elle a baissé la tête pendant un temps, ce ne doit être que pour la relever plus haute. Comptons-nous, serrons nos rangs, envisageons les obstacles. Je ne parle pas des périls, ils n’existent pas plus que les fantômes dont un enfant s’épouvante. Maudissons les craintes puériles qui nous ont divisée, et comme des hommes, ne nous occupons que des dangers réels, qu’ils proviennent intérieurement des exagérations et de la surabondance de sève inhérentes à l’ardente nature du jeune homme impatient du frein et curieux de l’inconnu, où extérieurement des embûches que l’homme ennemi sèmera sous nos pas.

En nous réunissant nous apprendrons à nous connaître et à estimer sans partager les mêmes idées. Le jour qui verra cette réconciliation sera un réveil glorieux pour notre jeunesse et notre pays.