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aucune déclaration de principes, nous ne faisons qu’obéir à la loi de la nature qui fait marcher le monde : nous suivons le mouvement du progrès « Allius Tendimus. » Si c’est là ce qui effraie nos adversaires, libre à eux de rester en arrière, nous ne pouvons ni ne voulons les attendre.

Je me garde bien d’attribuer ces idées étroites à tous ceux qui sont séparés de nous, ceux-là je ne leur donne pas le nom d’adversaires, mais seulement aux intrigants envieux et ignares qui nous font une guerre d’autant plus dangereuse qu’elle est plus cachée, méritent ce nom. Parmi les autres, combien sont retenus par une frayeur puérile dont ils ne peuvent s’affranchir ; combien s’empresseraient de se ranger avec nous, si les fatales barrières qu’on leur oppose disparaissaient ? Laissez au flot de la jeunesse sa liberté franche et entière et vous le verrez reprendre son cours naturel dont on l’a détourné.

Que peuvent-ils faire sous la mesquine contrainte qui les retient ? Qu’ils ne se fassent pas illusion ; ces avantages qu’on leur offre leur seraient retirés du jour où l’Institut-Canadien cesserait d’exister ; ce n’est pas pour eux mais contre nous qu’on les laisse vivre.

Que les véritables amis du progrès, quelque soit le camp qu’ils habitent, se convainquent bien de ceci, que, du jour où l’Institut-Canadien cesserait d’exister, ce serait le coup de mort des autres institutions. Ils devraient sentir qu’ils sont les artisans de leur propre ruine en travaillant à notre anéantissement.

Que font ces institutions rivales, à la merci d’influences étrangères dont elles dépendent ? Les jeunes gens de talents qui s’y rencontrent voient leur intelligence s’étioler sous cette pression anormale.

Avez-vous comparé quelquefois la plante captive qu’une main tyrannique a renfermée sous une serre étroite, à l’arbre qui croit sous l’immensité du ciel secoué dans sa puissante racine par tous les vents qui passent ? L’une flexible et sans vigueur incline ses faibles rameaux comme pour se soumettre à la main qui la façonne, l’autre étendant ses branches noueuses et fortes relève la tête avec orgueil vers le ciel qui lui verse ses rosées bienfaisantes. À l’une la tiède atmosphère de sa prison de verre, à l’autre l’air pur et l’espace sans bornes.

N’y a-t-il pas analogie parfaite dans l’ordre moral ? Voyez ceux qui fuient l’espace et la liberté que nous leur offrons ici, pauvres plantes sans vigueur qui n’osent relever la tête sous le souffle créateur qu’on appelle la raison ! Sans énergie, sans aspirations, ils consentent à croire ce qu’on leur dit de croire, et à penser comme les autres ont pensé : et ils veulent s’appeler des hommes !

Je me sens malgré moi saisi d’un regret profond quand je songe au tort immense que cause à la jeunesse la malheureuse scission qui nous divise depuis 10 ans.

L’Institut fut longtemps un champ clos où se rencontraient les défenseurs de toutes les idées : jusqu’au moment où une lâche frayeur nous enleva une partie de nos combattants, l’arène fut ouverte aux plus belles joutes littéraires.

Une regrettable panique disperse notre phalange en autant de camps qu’il y avait de nuances d’idées, et ce conflit d’opinion qui alimente les sociétés littéraires, ne se présente plus que sur de rares questions. À partir de là de côté et d’autres, il n’y eut plus que des combats simulés

Les adversaires de nos idées prétendent avoir la vérité pour eux. Mais alors pourquoi fuir la discussion ? La vérité est toujours forte et ne craint pas la lutte, au contraire, c’est par la lutte qu’elle se produit à la lumière. Laissez donc tous ceux qui pensent avoir un théâtre où ils puissent se rencontrer et se communiquer à chacun le résultat de leur travail ! Laissez donc chacun exposer la doctrine qu’il soutient ! S’il est dans l’erreur, libre à vous de le lui dire et de le lui faire comprendre surtout.

Deux grands principes se divisent le monde : le progrès et la stabilité, la pensée libre et la pensée esclave, l’affirmation et la négation. Toutes les divergences dans la science, la philosophie, la littérature remontent à ces deux sources.

Ni l’un ni l’autre de ces deux principes n’est absolument vrai où absolument faux. Si vous séparez ces deux éléments constitutifs des idées de l’humanité pensante, il y aura perturbation ou stagnation ; et toute stagnation est désorganisation et vous aurez l’exagération ou l’apathie. Celui qui est doué du moindre esprit d’observation n’a pu manquer de constater ces phénomènes depuis la scission de 1858.

C’est surtout parmi la jeunesse que ce fatal résultat se fait sentir. Il y a de quoi blesser notre orgueil, à nous jeunes gens, que de s’entendre répéter : « la génération du jour est déchus, elle ne peut plus montrer de ces talents vigoureux qui jetèrent tant d’éclat dans le pays il n’y a pas encore vingt ans. C’était alors un beau temps pour l’Institut-Canadien. »

Chaque fois que j’entends ces paroles pleines de justesse, le rouge me monte au front et je me sens humilié de notre impuissances. Où est-elle cette ardeur d’autrefois, où sont-ils ces jeunes orateurs qui se préparaient dans nos institutions littéraires à servir leur pays sur un théâtre plus vaste ; sommes-nous inférieurs à la génération qui nous à précédés ? Un homme de cœur n’avoue jamais une telle humiliation. Ce n’est pas nous qui sommes dégénérés, ce sont les temps qui sont changés. Notre faiblesse nous la devons à nos dissensions. Un des orateurs qui parlaient l’an dernier à cette tribune, disait : l’Institut-Canadien, c’est une institution-drapeau, parce qu’il consacre par son existence une idée qu’on ne peut nier sans crime, l’hospitalité de l’esprit. La jeunesse du jour expie la faute d’avoir nié cette idée, elle ne vit plus, elle dort d’un sommeil léthargique.

Mais ce sommeil ne peut durer, elle se réveillera et, je l’espère, plus forte que jamais.