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gré, le peuple se rebelle et pour éviter les conséquences de cet événement, le souverain lance la nation dans une guerre étrangère.

Les questions d’Orient, de Rome et du Rhin sont toutes de vastes poudrières dont une simple étincelle peut à tout moment causer l’explosion et envelopper l’Europe toute entière dans les nuages de la guerre. La Grèce, la nation peut-être la plus mal gouvernée du continent européen, convoite la Crète. Faible et ruinée elle n’oserait braver la Turquie, si elle n’était assurée de l’aide morale et matérielle de la Russie, ce pays qui depuis le règne de Pierre Le Grand a toujours visé pratiquement à la conquête de la Turquie pour faire du Pont-Euxin une mer fermée, assurer à son peuple un débouché vers le sud, et des rivages et des ports où ses flottes puissent aborder durant toutes les saisons de l’année.

L’Italie n’attend que le moment favorable pour saisir sa proie et s’emparer de Rome. Aussitôt la France engagée dans une guerre avec une puissance européenne de première classe, l’Italie s’élancera sur la ville aux sept collines. La nation française autrefois estimée par les Italiens en est maintenant tout à fait détestée, et si jamais la violence est la cause de la mort de Louis Napoléon, le coup fatal sera porté par la main d’un Carbonaro.

Neveu de cet homme étrange, le fruit de la première révolution française, Louis Napoléon encore inconnu du monde était mu par un sentiment intérieur qui lui disait qu’il était destiné à jour un rôle important dans l’histoire de la France. Après deux vaines tentatives, il réussit à se rendre acceptable au peuple et fut élu président de la République. Par son célèbre coup d’état de 1851 il renversa cette république et se fraya une route vers sa propre élection comme Empereur des Français.

Une fois assis sur le trône, il effaça par la prise de Sebastopol la tache que la retraite de Moscou avait imprimée sur les armes de la France. Par les victoires de Magenta et de Solferino, il ajouta de nouveaux fleurons aux guirlandes que les aigles françaises portaient déjà. Sa politique étrangère jusqu’au commencement de la malheureuse expédition du Mexique a été propre à élever la France à la première position en Europe, et à lui faire à lui-même la réputation du plus habile homme d’état de tout le globe.

Le retrait des troupes françaises du Mexique et le résultat de la guerre entre la Prusse et l’Italie alliés contre l’Autriche ont eu l’effet d’amoindrir sa réputation. Désirant la conquête de la Vénétie par l’Italie, croyant que l’Autriche serait trop puissante pour la Prusse, et que la médiation de la France serait payée volontiers par la cession de la frontière du Rhin, il s’éveilla de son rêve par la défaite des Autrichiens et le naissance d’une nation allemande, la Prusse en tête, contrôlant dans les entreprises militaires une population de trente millions d’âmes. Le fusil à aiguille de la Prusse était plus qu’une arme terrible en présence de l’ancienne carabine. Le système militaire de la Prusse était plus complet que celui de la France, et l’Empereur comprit que si la Prusse énorgueillie par des victoires sur les Autrichiens attaquait la France, la contestation serait top également balancée pour qu’il fut prudent de la risquer.

Un sursis d’une année a produit cependant de grands changements en France. Le 1er  janvier 1868, les troupes françaises furent armées du fusil Chassepot égal sinon supérieur au fusil à aiguille de la Prusse. Les arsenaux français regorgèrent de munitions militaires, et Napoléon III pouvait tout à coup mettre sur pieds une armée excédant par le nombre celle avec laquelle Napoléon Icommença la campagne de Russie en 1812.

Maintenant Louis Napoléon et Bismark se regardent tous les deux d’un côté à l’autre du Rhin comme deux gladiateurs romains attendant leur tour pour descendre dans l’arène, s’étudiant l’un l’autre, et cherchant le défaut de leurs armures.

Mais la lutte a beaucoup plus d’importance pour l’Empereur des Français que pour Bismark ou le roi de Prusse. Dans le cas où la France serait victorieuse, Bismark pourrait se retirer dans la vie privée ; mais le roi de Prusse n’en serait pas moins roi, et les malheurs de son pays resserreraient les liens d’allégeance de ses sujets. Cependant Louis Napoléon doit combattre pour conquérir : sa défaite ne serait pas seulement la mort pour lui, mais la chute de sa dynastie du trône de France. Il n’est pas estimé par le peuple français ; la masse ne le tolère que comme un moyen d’éviter de plus grands maux : les Orléanistes, les Bourbons et les Républicains le détestent. Il peut arriver que quelques amis lui demeurent fidèles dans son malheur ; mais un homme qui a tant fait pour étouffer la voix de l’opinion publique doit s’attendre à tomber sous les clameurs dès que le peuple pourra se faire entendre. Dans le cas d’une guerre entre la France et la Prusse, il est tout probable que l’Autriche se rangera du côté de la première de ces puissances, et l’Italie avec la dernière, tandis que la Russie tirant avantage du trouble général enverra ses troupes en Turquie et menacera avec un corps d’observation les frontières autrichiennes. Sous ces circonstances, l’Angleterre fidèle aux anciens principes peut encore envoyer sa flotte à travers les Dardanelles, et lancer une armée au secours des Turcs.

Ce serait une guerre de géants et les cris de la veuve et de l’orphelin se feraient entendre sur tout le continent, et les beaux champs de l’Europe seraient dévastés et couverts de sang.

Depuis plusieurs années, la Russie à répandu des troupes sur les frontières de l’Europe, et ayant maintenant subjugué les Circassiens et forcé l’Émir de Bokhara à demander la paix, l’Esclavon et l’Anglo-Saxon se trouvent face à face sur le sol de l’Asie. Avant longtemps l’intrigue esclavonne et la mauvaise foi hindoue feront éclater des rebellions contre l’Angle-