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XLIV.

Quand nous lisons dans St. Pierre : « Paissez le troupeau qui vous est commis non par une contrainte forcée, mais par une affection toute volontaire ; » et dans St. Jérôme, parlant aux évêques de son temps : « Souvenez-vous que vous êtes des pasteurs et non des maîtres ; » et dans St. Grégoire le Grand : « Nous ne sommes points des violents, mais des Évêques, et St. Paul ne nous donne d’autre pouvoir que de reprendre, remontrer et réprimander en toute sorte de patience ; » et dans St. François de Sales : « La rigueur et l’inflexibilité sont antipathiques au sacerdoce : » et dans Fénélon : « Écoutons toujours avec tendresse ; la rigueur ne mène à rien ; le vrai pasteur n’est jamais inflexible ; » et enfin dans Mgr Maret : « Ce sont souvent nos injustices et nos amertumes qui éloignent les gens de la vérité : » il nous semble toujours que les traditions d’autrefois ont récemment subi de pénibles modifications.

Et quelle est la vraie raison de tout cela ? L’intolérance, l’habitude de l’inflexibilité, le parti pris d’exiger la soumission de l’esprit sous quelques circonstances que ce soit, et sur quelque sujet que ce soit ; et cela envers les hommes faits comme envers les enfants ; la restriction systématique de tout libre-arbitre individuel ; le désir de tout contrôler et de tout dominer même dans le domaine que Dieu a livré aux disputes des hommes.

Eh bien, on aura beau faire, il faudra pourtant qu’ici comme ailleurs la raison et le bon droit finissent par l’emporter. On veut nous traiter tous comme des enfants de collége… eh bien, nous ne nous laisserons pas nullifier ainsi ! Nous ne demandons que la considération que l’on accorde ordinairement aux gens respectables, et cela nous avons droit de l’exiger.

Nous ne sommes pas hostiles, mais quand nous sommes condamnés sans être entendus nous le ressentons ! Quand nous montrons du bon-vouloir et que nous allons nous heurter à la plus raide inflexibilité, nous trouvons que la charité et le devoir pastoral ne sont pas là !

Espérons donc que l’on finira par comprendre que la doctrine que l’on nous applique, celle de l’intolérance et de la sévérité opiniâtre, ne peut faire que du mal ici comme par ailleurs ; et que celle dont nous réclamons l’application est la seule que l’esprit chrétien, et les lumières du siècle, et les progrès de la civilisation, recommandent comme juste, sensée, et même politique.


Après la lecture de M. Dessaulles, l’Honorable Horace Greeley fit son entrée dans la salle au milieu des acclamations les plus empressées de l’assemblée. Ce vétéran, encore si plein de vigueur, de la presse et de la liberté, dut comprendre ainsi qu’il l’exprima ensuite si bien, qu’il était entouré d’amis et d’admirateurs des idées qu’il a si longtemps défendues. Lorsqu’il eut pris place près d’un président, M. Kerr, professeur à l’école de Droit de l’Institut, prononça en anglais le discours suivant dont la traduction est due à M. J. N. Bienvenu, attaché à la rédaction du Pays :


M. le Président, Mesdames et Messieurs,

Un moment j’ai été porté à regretter le choix que j’avais fait du sujet sur lequel je devais vous adresser la parole ce soir ; mais, à présent que je vois ici un homme qui s’est fait une grande réputation politique, je me réjouis d’avoir fait de l’état des affaires en Europe et en Amérique le sujet de mon discours.

L’histoire, a-t-on dit, se répète elle-même, et quiconque étudie profondément l’histoire du passé peut prophétiser exactement les événements que le futur réserve. Une nation comme un individu a son enfance, son âge mûr et sa vieillesse. Elle a des crises à essuyer ; elle a ses combats et ses victoires à ses débuts ; sa décrépitude et sa faiblesse plus tard. La mort l’atteint ensuite, et les quelques membres qui lui restent sont absorbés par les nations voisines qui viennent de dépasser l’enfance. Depuis les premiers âges du monde, telle a été la destinée des peuples. L’Égypte, Babylone, la Perse, la Grèce et Rome sont nées, ont grandi et sont tombées. Le Croissant, dont la lueur sanglante se reflétait jadis sur l’Europe méridionale, ne luit plus que faiblement sur les bords de l’Hellespont, et, s’il n’était soutenu par les puissances chrétiennes, il disparaîtrait dans l’obscurité. La Pologne autrefois le boulevard de la chrétienté contre les Turcs a cessé d’exister. Dans les déserts de l’Amérique centrale, le voyageur contemple avec étonnement les traces d’une haute civilisation qu’y ont laissé des nations dont l’existence ne nous est aujourd’hui attestée que par les ruines de leurs villes.

Tous les royaumes de l’Europe font parade d’hommes armés. Depuis les quelques dernières années, l’art de la guerre a subi des changements si complets que les armes de la Crimée sont maintenant oubliées dans le passé comme l’arc de guerre et le bélier démolisseur des croisades. Les nations ne peuvent faire en sorte de demeurer en arrière de leurs voisins dans les préparatifs de guerre, car une telle négligence suscite des attaques. Elles épuisent leurs ressources pour demeurer en paix en se préparant à la guerre. Mais le seul entretien de tels armements est une cause de ruine pour tout le continent ; car non seulement on détourne le travail du soldat et du marin de la voie qui pourrait accroître la richesse publique, mais une grande parti de cette richesse est inutilement appliquée à faire vivre ces hommes dans une oisiveté comparative. Le tout se résume alors en une simple question de patience pour la nation. L’abus parvenu à certain de-