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penser autrement qu’elle. Nous ne devons pas nous faire d’opinion, même en politique, sans elle ! Nous ne devons pas souscrire à un journal sans sa permission ! Et elle décrète d’immoralité tout journal qui revendique les droits de la conscience humaine et proteste contre la violence morale infligée aux citoyens, soit en chaire, soit au confessionnal, à propos de l’exercice de leurs droits politiques ! Et le citoyen même que l’on inquiète, que l’on tourmente ; à l’égard duquel on viole inexcusablement toutes les prescriptions des conciles et toutes les règles de la théologie, n’a pas le droit de se plaindre ! S’il le fait, c’est une mauvaise tête ! Voilà où nous en sommes !

Ce n’est pas seulement sur le pouvoir temporel qu’elle nous refuse le droit de penser ! Elle nous le refuse même sur les questions de politique locale ! On nous a dit partout, l’année dernière : « Vous êtes en conscience tenus de suivre « la politique des Évêques. » Est-ce la religion qui veut cela  ? »

XXVII

Et le mal est devenu si grand qu’à propos d’une récente élection il a fallu que le journal qui est ici le chef de file de la réaction fit enfin entendre quelques plaintes ! On était très heureux, quand c’étaient les libéraux qui étaient frappés d’ostracisme du haut de tant de charges ; mais quand on a été atteint soi-même dans la personne d’un ami, d’un protégé ; alors on a bien été forcé de faire comme les libéraux et d’élever la voix contre une intervention indue, imprudente, souvent coupable, dans un domaine où le citoyen doit avoir sa pleine indépendance. Et qui plus est, ce journal de la réaction s’est permis de dire des choses auxquelles les journaux mal notés n’avaient jamais songé. Il a affirmé très explicitement que les gens dont il parlait (le clergé) semblaient être décidément hostiles aux hommes intelligents mais sans fortune ! C’était bien là dire : « Vous n’aimez que les gens de peu de sens mais riches. » La botte était rude, mais c’est un journal ami du clergé qui l’a portée ! La même feuille n’a pas craint d’ajouter que « des principes faux, dangereux, avaient égaré des hommes qui ne devaient pas être exposés à de pareils errements. »

Quand les journaux libéraux avaient dit moins que cela et n’avaient fait que réclamer en faveur de la liberté morale de l’électeur, on les avait décrétés d’impiété !

Mais il faut donc que le mal existe, et ait une certaine gravité pour qu’une feuille essentiellement réactionnaire ait été forcée d’élever la voix et de se plaindre si énergiquement des graves écarts de plusieurs membres du clergé ! Et le fait est qu’elle n’a pas osé dire tout ce qu’elle savait. Elle a passé des faits très graves sous silence. Les journaux libéraux ont donc eu raison ! C’est leur adversaire le plus acharné qui vient le constater, l’avouer, et dire des choses plus cruelles qu’eux ne l’avaient fait !

XXVIII

Il faut bien le dire, l’intolérance enserre en quelque sorte tout notre système social. Elle y jette chaque jour de plus profondes racines ! La réaction envahit constamment le domaine temporel et ne veut permettre ni remontrances ni observations ! Nous sommes tenus de croire, sous peine d’être décrétés d’irréligion, que quand elle se mêle au mouvement temporel elle ne peut jamais avoir que des motifs irréprochables et ne saurait se tromper ! Chaque jour elle nous affirme sur la politique les choses les plus erronées en fait ou les plus insoutenables en droit, et personne ne doit être assez téméraire pour oser dire, ou même penser, qu’elle se trompe !

Le dire, fut-on poussé par le plus énergique sentiment de devoir envers un pays appauvri et trompé, c’est n’avoir ni foi ni loi ! « Silence sur toute la ligne ! » crient ses valets !

Eh bien, Messieurs, il me semble que nous ne sommes pas faits pour recevoir un pareil ordre, et surtout par de pareils intermédiaires.

Elle inculque partout au peuple, par les puissants moyens dont elle dispose, l’idée qu’il doit se soumettre de cœur à tout ce qui tombe de la bouche du plus encroûté réactionnaire, par cela seul qu’il appartient à la rédaction d’un journal religieux, ou parce qu’il porte l’habit ecclésiastique, et personne n’a le droit de réclamer !

Tous ses journaux insultent avec rage ceux qui veulent défendre le domaine purement laïque contre un envahissement constant ! Un prêtre aura beau exprimer les erreurs les plus graves sur la liberté d’opinion du citoyen ; aura beau violer tous ses devoirs, et toute convenance religieuse et sociale, au point de dire de la chaire aux citoyens qu’ils n’ont pas catholiquement le droit de choisir entre deux candidats également honorables ; et même qu’ils sont obligés en conscience de voter pour un candidat qu’ils savent être souillé par la corruption, mais qui convient à la réaction parce qu’elle le domine, la défaveur s’attachera à celui qui relatera les faits et en fera ressortir le danger !

Messieurs, ce système ne tue finalement que ceux qui l’emploient !

XXIX

Bien des gens sincères gémissent de fautes qui sautent aux yeux : mais on leur a tellement inculqué l’idée certainement fausse que même quand le prêtre se trompe on ne doit pas le dire parce que cela compromet la religion, qu’ils préfèrent souffrir et se taire plutôt que de maintenir avec fermeté ce que leur conscience, et même le simple bon sens, leur montrent être le vrai et le juste. On arrive ainsi à faire accepter, ou au moins à empêcher toute protestation contre les doctrines les plus anti-nationales et les plus anti-patriotiques,

Tous les jours les journaux de la réaction faussent l’opinion sur les questions les plus vitales ; mais comme on habitue le peuple à pen-