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ce que nos réactionnaires d’ici appellent du radicalisme. Cet homme est aussi complètement républicain qu’on peut l’être, et chacune de ses paroles porte le cachet d’une grande élévation dans les idées et d’une instruction solide. Je l’étends dire que le parti républicain est vraiment national, et qu’il est absurde de lui attribuer un libéralisme outré qui n’existe pas chez lui. Je l’entends dire : « Je suis républicain de conviction et j’ai désiré le triomphe du général Grant, parce qu’il faut au pouvoir un homme qui représente les sentiments de la majorité. »

Sorti de table je demande qui est ce voyageur. C’était un évêque catholique d’une grande ville des États-Unis. Ce n’est donc pas un péché d’être libéral, ou républicain ! Pourquoi donc nous le dit-on ici ? On fait donc servir la religion à soutenir un parti politique. L’esprit de parti va donc se nicher partout.

Eh bien oui, cela est triste à dire, car cela mous rappetisse comme peuple ; cela nous fait partout adresser le reproche d’ignorance : c’est un péché ici d’être libéral ! Et ce sont ceux qui nous affirment cette terrible erreur qui veulent nous imposer leur direction politique ! Mais leurs doctrines politiques ne valent mieux que leurs doctrines sur la tolérance ! Elle sont toutes anti-philosophiques, anti-chrétiennes, anti-patriotiques surtout ! Pour un plat de lentilles, la réaction est toujours prête à vendre le droit d’aînesse d’un pays ! Voyez ses journaux, et même quelquefois ses mandements, et vous verrez quel cas elle fait des libertés publiques et des droits les plus sacrés des citoyens !

Ne vient-elle pas de nous dire que nous n’avions plus le droit de discuter nos institutions après le fait accompli ? Quoi ! la tyrannie sera donc irrévocable ! Fait accompli contre les libertés d’un peuple ! Où donc prend-elle ses notions de droit ?

Fait accompli ! Grand mot qui lui plaît beaucoup quand elle en profite ! Mais pourquoi donc tant d’anathèmes passionnés quand c’est contre elle que le fait accompli s’exécute ?

XXV

Au reste la réaction en est là aujourd’hui. Toute sa tactique politique, toute sa tactique sociale, toute sa tactique religieuse, toutes ses idées enfin et toutes ses convoitises, se concentrent sur un seul principe, celui de l’intolérance. C’est là aujourd’hui le fond et la forme de toute son action dans le monde. Elle a déclaré la guerre à la société moderne, à la pensée humaine, au libre-arbitre moral, à plusieurs des plus importantes conquêtes de la civilisation, et personne ne doit plus penser que par elle, même dans l’ordre temporel !

Et n’en est-elle pas rendus à traiter d’hérétiques, d’ennemis de Dieu et du catholicisme, ceux qui pensent avec les plus grands Docteurs de l’église et ses plus lustres Évêques, que le pouvoir temporel nuit plus à la religion qu’il ne lui sert ? Que d’injures ses journaux n’ont-ils pas dites à ceux qui pensaient ainsi sur cette question libre ? Sa doctrine, aujourd’hui, c’est qu’il lui est nécessaire ! C’est une vérité, a-t-elle dit ; qu’il n’est pas permis de nier ! Alors que fait-elle de la lettre de St. Bernard au pape Eugène ?

Que fait-elle de celle du pape Grégoire III à l’empereur Léon ?

Que fait-elle de l’opinion du pape Gélase ? Que fait-elle de l’opinion du grand Osius de Cordoue ? Que fait-elle des nombreux passages de l’Évangile qui défendent si fortement la domination temporelle aux disciples ?

Mais Fénélon la niait bien, cette vérité d’aujourd’hui, et qui n’était certainement pas la vérité hier, dans un ouvrage à peu près inconnu ici, où il exprimait si fortement le désir que Rome renonçât à ces domaines, (prædia) et à cette puissance temporelle qui la détournaient de sa mission purement spirituelle et l’absorbaient dans de vils intérêts humains et dans la tortueuse politique du siècle ! « Plût à Dieu, ajoutait-il, que maintenant l’épouse du Christ consentit à se dépouiller de ses domaines, de ses patrimoines, de ses richesses temporelles et des viles dignités de ce monde ! » Est-il libre-penseur, lui aussi ?

XXVI

Je pourrais multiplier les citations là-dessus, mais je les réserve pour une autre occasion. Je voulais seulement vous faire voir que quand ses intérêts sont en jeu, la réaction aussi donne dans le travers des idées nouvelles, chose qu’elle nous reproche avez tant de passion ! C’est certainement une idée très-nouvelle, et très récente dans l’Église, qu’elle ne saurait se passer de puissance temporelle et qu’il n’est pas permis de croire le contraire ! C’est encore là une de ces prétentions que toute la tradition chrétienne met à néant ; ce qui n’empêche pas la réaction de nous contester notre libre-arbitre même sur une question de ce genre qui est essentiellement libre puisqu’elle ne touche en aucune manière à l’essence de la religion. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est encore un évêque. « Il n’est pas nécessaire, Nos Très chers Frères, » disait Mgr Kenrick, de Philadelphie, dans un mandement à son troupeau ; « il n’est pas nécessaire que nous vous apprenions que la souveraineté temporelle des États-Romains est, de sa nature, absolument distincte de l’autorité suprême que l’Évêque de Rome exerce sur toutes les Églises. »

Sans doute, elle est absolument distincte ; la différence d’opinion sur sa nécessité est donc permise de plein droit. Pourquoi donc nous dire, avec tant de colères, qu’elle n’est pas permise ? Mais le Pape actuel lui-même n’a-t-il pas déclaré en plein consistoire, que l’on ne devait pas faire du pouvoir temporel une question dogmatique ? Nous sommes donc libres là-dessus !

Mais non ; même sur les questions indifférentes à la foi, la réaction ne permet pas de