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l’ont étudié, que l’intolérance n’est pas dans l’esprit du catholicisme. Ceux qui affirment cela ne le comprennent pas, et c’est un véritable malheur qu’il y ait tant de gens, ici et ailleurs, qui se plaisent, les uns par une fausse notion de devoir, les autres par hypocrisie, à le discréditer ; et, par leurs paroles et par leurs actes, à le faire paraître aux yeux des dissidents différent de ce qu’il est.

Emportés par la passion, par la soif de domination temporelle, qui leur est interdite par mille passages de l’évangile et par toute la tradition chrétienne, ils ne songent qu’à faire ramifier partout le principe d’autorité et à étouffer celui du libre-arbitre. Voilà le parti de la réaction ! À ses yeux la conscience n’a aucuns droits qu’il soit tenu de respecter ; et l’homme doit à tout âge rester dans ses mains ce qu’il est au collège, un simple élève qui ne doit croire que ce que le maître dit.

Et que l’on ne dise pas que j’exagère. N’avons-nous pas entendu pendant trois mois partir d’un grand nombre de chaires l’idée absurde en droit et en fait que le catholique ne doit pas se former d’opinions politiques sans consulter ses pasteurs ? Nous sommes donc encore au collège ! Eh bien, franchement, cela ne peut pas convenir à tout le monde. Et si la réaction ne comprend pas qu’en poussant aussi loin ses doctrines, en tombant ainsi dans une exagération aussi ridicule que coupable, elle ne fait qu’éloigner d’elle les hommes intelligents, eh bien, elle ne me paraît pas très propre à diriger les autres.

XXII

Quoi, nous irions étudier la politique chez ceux qui comprennent si peu la loi naturelle qu’ils contestent à l’homme le libre arbitre de sa pensée ! Il nous faudra accepter nos idées politiques d’hommes qui, quelque mérite qu’on leur concède dans leur sphère, n’ont jamais fait la moindre étude du droit, soit civil soit politique ! Des citoyens iraient se former chez ceux dont toute l’action, dans le monde, consiste à nier les droits du citoyen en théorie, et à les détruire dans la pratique au profit du despotisme ! Mais, aux yeux de la réaction, être républicain, c’est être ennemi de l’ordre social et de Dieu même ! Tous les journaux de la réaction représentent les institutions républicaines comme l’anarchie en permanence !

Et pourtant, quand le pape Pie vii n’était encore qu’évêque d’Imola, ne disait-il pas un jour : « Ne croyez pas, mes chers frères, que la religion catholique s’oppose à la forme du gouvernement républicain. » Et dans une autre occasion : « La liberté, chère au ciel et à la terre, est une des facultés de l’homme… Le gouvernement démocratique, mes très chers frères, n’est point en contradiction avec cette maxime et ne répugne point à l’évangile. Il exige même toutes ces vertus sublimes que l’on n’apprend qu’à l’école de Jésus-Christ, et qui, si elles religieusement sont pratiquées, feront votre bonheur et la gloire et la splendeur de la république. »

Et quand Mgr Purcell, archevêque de Cincinnati, disait dans une magnifique lettre pastorale, il y a quelques années, à ses diocésains : « qu’ils avaient le bonheur de vivre sous les institutions les plus libres de l’univers ; » était-ce là condamner la forme républicaine de gouvernement ?

XXIII

Mais ici la réaction va sans doute nous dire : « Ah, nous ne sommes pas opposés à la république ! Seulement il est nécessaire que nous puissions contrôler la législation, car la vérité ne vient que de nous. »

— Ah ! vous ne voulez d’une république qu’à la condition de la contrôler ! Eh bien, ce sera une belle république !  ! Tenez, permettez que nous refusions !

Mais ces jours derniers même, que vient donc de nous dire un évêque des États-Unis ? Après nous avoir donné la terrible information que plus de 500,000 canadiens-français sont allés s’établir dans les États-Unis, et aussi cette autre excellente information — démenti formel donné à tous les journaux fanatiques et insulteurs d’ici — qu’une fois là les canadiens n’abandonnaient point leur foi ; il demande des prêtres parlant leur langue, mais qu’ajoute-t-il ? « et partageant leurs idées et leurs sentiments sur la terre où ils vivent. » Voyons, est-ce assez clair ? Sommes-nous assez vengés ? Toutes nos chaires, l’année dernière, retentissaient de l’idée que l’on ne pouvait être à la fois catholique et libéral ! Et voilà un évêque qui vient nous demander, quoi ? Des prêtres libéraux ! c’est-à-dire qui partagent les idées et les sentiments de nos compatriotes expatriés dont les neuf-dixièmes sont républicains. Et ici c’est un péché d’être libéral ? Que ne pourrais-je pas dire, maintenant, sur les refus d’absolution pour cause purement politique ?

Je parle ici avec tel membre du clergé : je le trouve exagérément monarchiste. Je parle aux États-Unis avec un prêtre séculier, ou un père jésuite ; et je les trouve franchement républicains. Avec le premier c’est un péché d’être libéral, avec ceux-ci c’est une vertu ! Quelle est la seule conclusion à tirer de cette contradiction ? Que le clergé devrait s’abstenir de politique active de parti ; et surtout de faire un péché du libéralisme à vingt lieues du pays où il faut être libéral pour être dans l’esprit des institutions que le texte « toute puissance vient de Dieu » oblige de soutenir.

XXIV

Voyageant aux États-Unis, je me trouve, à une table d’hôte, placé en face de deux voyageurs dont la conversation m’intéresse fortement. L’un de ces deux voyageurs, homme particulièrement instruit et distingué, passe en revue la politique américaine, et approuve entièrement la législation du Congrès, c’est-à-dire