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heure, c’est là le prosélytisme. Mais du moment que l’on sort de la persuasion pour tomber dans la contrainte, alors le droit de celui qui subit la contrainte est violé dans son essence et l’ordre établi de Dieu est renversé. Le véritable impie c’est l’intolérant !

XIX

D’ailleurs, le principe de la tolérance n’est-il pas aussi nettement posé et affirmé que possible, dans l’Évangile, par cet anathème même infligé par le Christ à ceux qui demandaient que le feu du ciel descendit sur une ville qui refusait de recevoir la prédication ?

Et si la liberté d’association est de droit naturel soit pour le travail, soit pour la spéculation, soit pour la prière, soit pour la charité, soit même pour le plaisir, le serait-elle donc moins pour l’étude ? Pas avec des protestants ! nous dit l’intolérance. Eh bien, voyons ! Dans presque toute l’Allemagne rhénane, dans l’Alsace et la Franche-Comté, en France, nombre de communes n’ont qu’une église dans laquelle les catholiques et les protestants se réunissent à des heures différentes. Et ces gens vivent en paix ensemble ; et les catholiques font leur religion là comme ici. Quel plus grand mal y a-t-il donc d’étudier ici dans le même lieu, que de prier là bas dans le même lieu ?

Dans une société essentiellement mixte comme la nôtre, va-t-il donc falloir demander à chacun quelle est sa religion avant de savoir si l’on peut mêler ses capitaux aux siens, faire du bien en sa compagnie, où former une bibliothèque commune ? Déclarons donc de suite l’hostilité perpétuelle ! Toute acquisition de science commune serait-elle un poison pour nous ! Mais si nous déclarons tous les livres écrits par des protestants mauvais, croit-on que cela les induira beaucoup à lire les nôtres ? Allons ! la raison n’est pas là ! C’est tout simplement le despotisme moral !

Mais la réaction nous conduit directement à l’anarchie sociale avec ses principes ! Comment pouvons-nous espérer maintenir notre propre liberté si nous ne respectons pas celle d’autrui ! Sur quoi baserons-nous notre propre droit, si nous ne reconnaissons pas celui des autres ? Le droit naturel n’existe-t-il que pour nous ?

L’homme est essentiellement libre, sorti tel de la main de Dieu : mais sa liberté est nécessairement limitée par les lois morales et par la liberté de ses frères. La liberté de l’individu ne saurait s’étendre jusqu’à vicier celle des autres. Elle est donc limitée par la charité, le devoir, l’amour du prochain. Ce sont ces idées qui doivent régir les lois que les sociétés policées établissent pour définir les droits généraux et individuels, et laisser intactes toutes les libertés ou les droits individuels qui ne nuisent pas à autrui. La société ne fait donc, par ses lois, qu’équilibrer les libertés et empêcher les unes de prévaloir sur les autres.

C’est précisément là l’idée qu’exprimait Monseigneur de Moulins dans cette phrase si juste et si pleine de franchise qu’il adressait à Mgr Dupanloup en 1852. « Je l’avouerai naïvement, disait-il, dussè-je passer pour le demeurant d’idées déjà éloignées, j’aime la liberté, et je l’aime trop quand elle me sert pour ne pas la supporter quand elle me gêne. »

Je ne sais quel effet aura pu produire sur le plus éloquent apôtre de l’absolutisme de notre époque cette adroite et spirituelle réclame en faveur de la liberté : mais n’admirerez-vous pas avec moi cette fine petite malice dite avec tant de bonhomie par un évêque libéral à son confère intolérant ? Au risque de passer pour un trainard, — avec vous autres qui marchez maintenant avec des bottes de sept lieues dans les sentiers de l’absolutisme, — moi je ne puis me défendre d’aimer la liberté ; et si elle me gêne quelquefois, eh bien je l’endure, parce qu’elle me sert bien souvent. »

Je soupçonne un peu que Mgr Dupanloup, avec son brillant esprit, a du se dire in petto — en souvenir de Démosthène voyant Phocion monter à la tribune. — « Voici une petite pointe acérée qui perce à jour mes arguments les plus travaillés. »

M. de Montalembert aussi exprimait éloquemment, un jour, dans le Correspondant, la même idée que Mgr de Moulins.

« Il y a, disait-il, dans le cœur de l’honnête homme qui parle pour tous, et qui, en parlant pour tous, semble quelquefois parler contre lui-même, il y a une loi de puissance, de supériorité logique et morale, qui produit infailliblement la réciprocité. Oui, catholiques, entendez-le bien ; si vous voulez la liberté pour vous, il faut la vouloir pour tous les hommes et sous tous les cieux. Si vous ne la demandez que pour vous, vous ne l’obtiendrez jamais ! Donnez-là où vous êtes les maîtres, afin qu’on vous la donne où vous ne l’êtes pas. »

Eh bien, voilà certainement un sage avis, donné par un homme non suspect. Qu’en fait la réaction ? Elle hausse les épaules et dit que c’est un passage pénible ! Ce passage résume pourtant la quintessence des droits et des devoirs de l’homme en société. Mais comme il donne impitoyablement sur les doigts de la réaction, elle se fâche et se plaint que ses amis l’abandonnent. Elle s’est placée dans une position telle que plus ils sont sensés, plus ils lui déplaisent ! Comment osent-ils lui donner des conseils ! Et l’idée de l’archange rebelle lui vient à l’esprit !

XXI

Vous voyez donc, Messieurs, que les doctrines de l’intolérance trouvent leurs plus redoutables adversaires chez des Évêques et des prêtres catholiques. Vous voyez, comme je le disais tout-à-l’heure, qu’il y a beaucoup de bonne compagnie avec nous. Il est évident pour ceux qui