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Point de devoir pour nous ! » Et voilà le parti qui ose nous dire ; « Croyez-nous sur parole : n’examinez point ! soumettez-vous, même en politique ! »

Sa doctrine est donc, en définitive : « C’est une impiété que de ne pas nous tolérer, et quant à nous, ce serait une impiété de tolérer les autres. » Voilà encore une des impasses où les principes de la réaction la conduisent ; une des absurdités qui en découlent forcérment !

Comment pourra-t-elle, avec un pareil principe, réclamer contre la persécution en Irlande, ou en Pologne, ou en Suède ? Car malheureusement le protestantisme aussi est persécuteur souvent ; et en cela il est bien plus coupable que nous, puisqu’il repousse le principe d’autorité et se base sur celui du libre-examen ! Or, de quel front irions-nous, nous catholiques, réclamer la tolérance ailleurs si nous la refusons chez nous ? Il faut toujours en revenir là, au grand axiome évangélique ; « Faites aux autres ce que vous désirez que l’on vous fasse. » Tout ordre social est impossible sans cela ; et n’importe qui en sort arrive nécessairement à l’absurde.

XVII

Parmi les plus illustres défenseurs du principe de tolérance, on doit ranger Mgr Rendu, évêque d’Annecy. Personne n’a défini la liberté avec plus d’exactitude que lui ; personne n’a assis le principe de la tolérance sur une base plus large et plus sûre. Je trouve ses admirables définitions dans l’excellent ouvrage de M. de Montalembert intitulé : « Des intérêts catholiques au 19ème siècle. » Cet ouvrage contient les plus sages avis adressés à la réaction, mais elle n’en a jamais tenu le moindre compte. M. de Montalembert n’ayant pu ni accepter ses travers ni approuver ses fautes, et s’étant permis de lui adresser quelques respectueuses remontrances, la réaction a tout simplement décidé qu’il avait écrit quelques passages pénibles, et l’a rangé sur les tablettes dans le recoin des bouquins. Voilà comme elle a toujours traité même ses meilleurs amis quand ils ont essayé de lui inculquer quelques idées raisonnables et pratiques. Sûrement on ne dira pas que M. de Montalembert ou Mgr Rendu soient des libres-penseurs. Au reste, on sait quel découragement profond s’est emparé de M. de Montalembert après son dernier voyage à Rome. Il semble d’ailleurs en avoir eu le pressentiment dans ses « Intérêts catholiques. »

Mgr Rendu définit donc la liberté comme suit :

« La puissance dont chaque citoyen jouit dans la société dont il fait partie, c’est ce qu’on appelle liberté ; et comme cette puissance du citoyen se manifeste dans des circonstances diverses, on peut, et même on doit la désigner sous des noms divers, mais c’est toujours la liberté. Elle comprend :

« 1o La liberté religieuse, qui elle-même se compose de la liberté de conscience, de la liberté du culte et de la liberté du prosélytisme :

« 2o La liberté civile, qui contient la liberté de la personne, celle du domicile, celle de la propriété et conséquemment le consentement de l’impôt :

« 3o La liberté politique, qui assure à tout individu son concours dans la confection des lois et dans la surveillance de la fortune publique :

« 4o La liberté d’enseignement, par l’écriture ou par les livres ; par la parole et par l’exemple :

« 5o. La liberté administrative dans la famille, dans la commune, dans la province et dans l’état :

« 6o. Enfin la liberté d’association, qui comprend les nationalités, l’association des capitaux pour les grandes entreprises, des bras pour le travail, des cœurs et des consciences pour la prière, pour l’exercice de la charité, et même pour le plaisir. C’est de cette dernière espèce de liberté que dépend plus spécialement le progrès de la civilisation. »

XVIII

Et toutes ces libertés de détail sont fondées, d’après Mgr Rendu, sur le principe fondamental de la liberté native de l’homme comme être pensant et raisonnable. « La liberté, dit-il, c’est l’homme tel qu’il est sorti des mains de Dieu ; l’homme avec son intelligence et sa volonté ; l’homme à qui il a été dit : « Voilà le bien, voilà le mal ; tu peux choisir ; mais voilà ma loi, si tu la violes, tu mourras. » La liberté, encore une fois, c’est l’homme jouissant de sa spontanéité dans l’usage qu’il fait de ses forces morales… C’est donc dans sa liberté morale qu’il faut chercher l’origine et l’explication de la liberté dont il doit jouir parmi ses semblables. »

Voilà parler en philosophe chrétien ! Voilà un évêque qui sait comprendre et définir les droits comme les devoirs de l’homme en société. Or le premier de ces droits, dans l’opinion de cet illustre évêque et grand penseur en même temps, c’est la liberté de conscience, la liberté du culte et celle du prosélytisme. Le choix du culte, la communication des convictions, sont de droit naturel. Donc la tolérance n’est que le respect du droit primordial de chacun : donc l’intolérance est la violation de ce même droit.

Or les droits de tous les membres de la grande famille humaine sont les mêmes, quelles que soient leurs conviction religieuses. J’ai le droit d’être catholique et le protestant n’a rien à y voir. Tel autre a le droit d’être protestant et je n’ai rien à y voir. C’est là une affaire exclusivement entre l’homme et Dieu, une affaire qui ne ressort entièrement et absolument que de la conscience de chacun. Si le protestant se trompe — et les catholiques doivent croire qu’il se trompe — eh bien, il n’échappera pas au jugement tôt ou tard ; mais c’est à Dieu seul qu’il appartient de le juger, et non à nous ! Et c’est une impiété, à n’importe quel homme, que de vouloir violenter la conscience de son frère. Persuader, à la bonne