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Vous voyez que je n’ai pas eu tort, il y a un instant, de vous dire que j’étais en bonne compagnie. L’évêque du Bellai, St. François-de-Salles, l’évêque Duchâtel, Mgr Cœur et Mgr Maret, et enfin et surtout l’Évangile, valent bien à peu près des feuilles fanatiques qui ne perdent pas une occasion de nous insulter !

Eh bien, je trouve encore un homme de bonne compagnie, qui n’est pas un libre-penseur, qui pense comme moi : le célèbre père Hyacinthe, qui, dans ses magnifiques sermons, à si souvent donné ses les[illisible] doigts de la réaction qu’elle commence à vouloir lui fermer la bouche ; exemple : ce qui s’est passé à Lyon, il y a dix-huit mois.

Le grand prédicateur avait été invité à prêcher une retraite à Lyon ; mais l’Archevêque de Lyon, très saint homme, mais un peu borné, voulut exiger que chacun des sermons qui allait être prononcés lui fût soumis en manuscrit. La chose n’était guère possible à un homme qui se laisse souvent aller à l’improvisation, et qui monte le plus souvent en chaire avec un simple canevas contenant les idées saillantes qui doivent former les points principaux du sermon. D’ailleurs, quand un homme est arrivé à posséder une certaine somme de savoir et d’étude, et quand il est doué de cette force d’intelligence qui fait les grands orateurs, il lui répugne naturellement d’être traité comme un enfant et de s’entendre dire par des tacticiens de la réaction : « Vous pouvez dire ceci, mais mettez telle autre idée sous le boisseau. » Cela ne peut naturellement convenir qu’aux pions. Le père Hyacinthe refusa donc net de laisser remanier et pétrir ses sermons comme une composition de collége et l’Archevêque dut aller chercher un prédicateur plus maniable. Vous voyez, Messieurs, que nous ne sommes pas les seuls hommes au monde qui revendiquions notre libre-arbitre moral, et que l’on peut être très orthodoxe et néanmoins tenir à ses opinions.

XI

Je vous disais, il y a un instant, que notre civilisation moderne, due aux principes fondamentaux du christianisme, formait l’apanage des nations protestantes comme des nations catholiques. Or, comme certaines gens sont singulièrement disposés à m’attaquer sur la seule raison que c’est moi qui parle, j’aie assez à m’étayer de noms qui forcent la réaction de garder en elle-même les injures qu’elle ne manquerait pas de m’adresser si je parlais seul.[1] Voici donc ce que je trouve dans un des derniers sermons du père Hyacinthe : « Les peuples baptisés, catholiques ou non, mais chrétiens, forment le noyau de la civilisation ; les peuples non-baptisés, la zone immense de la barbarie. »

Si tous les peuples chrétiens forment au même degré le noyau de la civilisation, s’ils sont égaux dans leur action sur le progrès humanitaire, pourquoi donc, quand les individus, tous chrétiens, mais de dénominations différentes, se trouvent réunis dans une même localité, n’entretiendraient-ils pas les uns envers les autres le sentiment chrétien de l’union et de la charité mutuelle, au lieu du sentiment payen de la persécution et de la haine ? Il me semble en vérité que les vrais payens, que les vrais impies, ce sont ceux qui cultivent parmi nous l’éloignement mutuel, la défiance et la discorde, au lieu d’y conseiller le rapprochement et la concorde.

Que d’injures, dernièrement, à propos de quelques libéralités protestantes faites à cet Institut ! Mais alors pourquoi donc ne rendons-nous pas aux Protestants les sommes qu’ils ont données pour Ia construction de notre église paroissiale ? La fabrique est-elle entachée de protestantisme, parce qu’il a plu à quelques protestants d’être plus libéraux que nous ne le sommes ? Que nos réactionnaires enragés aillent donc gourmander l’Évêque de Philidelphie, parce qu’il ne rend pas les $50, 000 que les protestants de cette ville ont souscrites pour l’érection de sa cathédrale ! Qu’ils aillent donc ordonner à l’Évêque de New-York de cesser de recevoir les dons des protestants pour l’érection de la sienne ! Qu’ils aillent donc dans cent villages des États-Unis recommander aux catholiques de ces villages de ne plus mettre le pied dans leurs églises, parce qu’elles ont été en plus grande partie bâties par des souscriptions protestantes ! Or, si la réaction est si heureuse de recevoir l’or hérétique, quelle si grande honte y a-t-il donc à nous de recevoir des contributions de nos propres membres appartenant aux diverses communions chrétiennes, ou celles de leurs amis qui approuvent notre esprit de tolérance ? Voyons ! certains jours auront-ils la décence de se taire ? Quand c’est eux qui reçoivent, mérite pour les protestants : mais si c’est nous, honte pour les protestants et surtout pour nous ! Vous voyez comme la réaction sait toujours avoir deux poids et deux mesures, et combien sa logique est quelquefois la violation du bon sens !

XII

Avec ces journaux et ceux qui les inspirent, il n’y a rien de bon hors de chez eux ! Eux seuls sont vertueux ! Eux seuls sont religieux ! Eux seuls sont sincères ! Eux seuls ont des intentions droites ! Hors de chez eux il n’y a qu’erreur, vice et perdition !

La grande Église gallicane même est hérétique à leurs yeux ! Cent fois ils ont décrété Bossuet d’hérésie, et au dernier siècle, en 1761, ils voulaient, en Belgique, faire brûler ses livres par la main du bourreau ! Il fallut un édit de l’Impératrice Marie-Thérèse pour em-

  1. Et quoique je n’ai parlé qu’appuyé sur les plus grands noms du christianisme, elle ne m’en a pas moins traité d’impie, de blasphémateur et d’imbécile. — Voir le Nouveau-Monde, et le Courrier de St. Hyacinthe du 24 déc.