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qu’ils me font des compliments que je voudrais tout à fait mériter, les trois quarts du temps croyant me dire des sottises.

Je ne suis pas assez sot de croire que mes ouvrages ne laissent à désirer, mais je ne reconnais valable aucune de ces critiques : j’en excepte, comme vous pouvez croire, celles de mes amis On ne peut entendre dire de sang-froid, et lire « que la génération présente jouit en les voyant des immenses progrès que la peinture a faits depuis cette époque jusqu’à nos jours » : le cher Dumai a parfaitement répondu à cela. Oui l’art aurait bon besoin qu’on le réforme et je voudrais bien être ce révolutionnaire-là ; mais patience, je ferai tant des pieds et des dents, que cela sera peut-être un jour. J’y mets toute mon ambition. Ils affermissent encore plus mes idées dans cette belle route, ils ont beau me crier que je m’égare… Insensés, c’est vous qui ne marchez pas droit. Je ne sais où ils ont été citer Jean de Bruges, comme si mes ouvrages voulaient tenir de ce peintre. J’estime beaucoup Jean de Bruges, je voudrais lui ressembler en beaucoup de choses ; mais encore ce n’est pas là mon peintre, et je crois qu’ils ont cité au hasard. J’aime surtout le soin qu’ils prennent de me crier que je m’égare, et l’invitation à rentrer dans la bonne route ; mais je ne devrai pas leur en tant vouloir, car sitôt après une impertinence, ils ont bien le soin de me faire un compliment, notamment celui de faire remonter mon style à celui de la Renaissance, etc…

Je ne leur tiens pas compte de la justice qu’ils veulent quelquefois me rendre : le blâme et les louanges d’un sot doivent m’être indifférents ! Après cela j’ai des yeux et des amis qui sont déjà des hommes pour le talent et qui, je l’espère, en toute occasion me donneront les mêmes marques d’amitié et de franchise. Je vous prie de leur dire, en attendant, que je suis bien sensible à l’amitié qu’ils me témoignent et que je profi-