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« On croit encourager la peinture avec le Salon : on lui ouvre une voie misérable. Cette quantité de portraits, ces tableaux sans pensée, sans plan, sans but, ne sont là que pour faire du commerce… Tout cela est inutile, et il faut que la peinture serve. La justice, l’histoire, la religion : voilà des sujets, voilà les éléments de l’art comme on doit l’entendre ! Regardez les tapisseries qui ornent ce salon de l’Académie de France à Rome {dont Ingres était alors le directeur et où cette conversation se tenait) : ne sont-ce pas des œuvres de peinture monumentale, d’une peinture qui a un objet, qui sert ? C’est à la décoration des églises, des palais publics, des temples de la justice, que l’art doit se consacrer ; c’est là son véritable, son unique but. Le Salon l’en détourne en fournissant à tant de barbouilleurs l’occasion d’exposer leurs pauvretés ou de fausser le goût public par le spectacle bête des trompe-l’œil. Oui, pour arrêter la décadence, pour régénérer l’art, il faut fermer le Salon… »

Ainsi parlait Ingres en 18/40. Malgré la grande voix de cette Cassandre des Beaux-Arts de son temps, comme il s’appelait lui-même dans ses lettres à son ami Gilibert  [1], aujourd’hui, pour la soixante-dix-neuvième fois depuis lors, le Salon des Artistes français ouvre ses portes et va, sans doute, donner un solennel démenti au fatal prophète de l’imminente fermeture, en prouvant, par de nouveaux chefs-d’œuvre inspirés des immortels principes de religion et d’histoire dont l’ancêtre immortel faisait la source et l’essence même des arts de son temps et de tous les temps, que, pour si nombreux que ces Salons se multiplient, il n’en est point encore assez pour les

  1. (1) Dans ce volume d’Ingres, d’après une Correspondance inédite, on a pu lire encore ces lignes écrites sur les Salons et « l’industrialisme » qui fait leur décadence : « Aujourd’hui, à Paris, il n’y a que les ouvrages des Tabarins artistes dont on s’occupe, et encore… Quant à ceux qui ont quelque solidité, quelque reste de principe, on n’en veut plus. Quant à moi, je ne vends pas mes tableaux, quoique, par un je ne sais quel respect humain, on n’en dise que bien et honneur. Je vous dis donc que tout se perd ici. Tout y est comme étranger et comme un corps humain qui se place et s’éteint. L’oubli total viendra ensuite, suivi de l’industrialisme, aidé bientôt du qu’est-ce que cela prouve ?

    « Cependant je ne perds ni le courage ni le goût de mon art, et, sans trop penser à ce triste avenir ; j’irai jusqu’au bout pour mon seul plaisir. Évertuons-nous, faisons mieux que jamais, soyons encore plus châtiés et plus purs, s’il est possible. Car c’est d’abord pour nous que nous peignons, et nous croyons à la vertu.

    « Ingres. »