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compositeur ; mais, déjà plein de raison, il comprit sa justice ; il sentit qu’il fallait apprendre le contrepoint. Mais de qui ? Reüter ne l’enseignait point aux enfants de chœur et n’en donna jamais que deux leçons à Haydn. Mozart trouva un excellent maître dans son père, violoniste estimé. Il en fut autrement du pauvre Haydn, enfant de chœur abandonné dans Vienne, qui ne pouvait avoir de leçons qu’en les payant et qui n’avait pas un sou. Son père, malgré ses deux métiers, était si pauvre que, Joseph ayant été volé de ses habits et ayant mandé ce malheur à sa famille, son père, faisant un effort, lui envoya six florins pour remonter sa garde-robe. Enfin, aucun des maîtres de Vienne ne voulut donner des leçons gratis à un petit enfant de chœur sans protection.


Ce qui suit est un fragment de lettre, collé en face du fol. 73 (verso, sur le cartonnage du registre. Il n’en reste qu’une page, coupée même au bas sur une ligne, et un fragment de l’autre page dont il reste seulement le mot Institut).

« Beethoven se promenait souvent seul aux environs de Vienne, pour se livrer à ses inspirations. Il était presque sourd. Un jour, il s’était agenouillé sur un chemin pour écrire ce qu’il Venait de composer. Un convoi survient, suivi d’un nombreux cortège ; Beethoven reste immobile. La préoccupation de son génie, non moins que sa surdité, le rendent étranger à tout ce qui se passe autour de lui. Mais on l’avait reconnu. Le cortège et le convoi s’arrêtent : « Attendons qu’il ait fini », s’était-on dit unanimement. Et on attendit, en effet, que Beethoven se fut relevé. Quel bel hommage rendu à ce grand homme ! C’est que le génie en travail est en communication avec-Dieu même. Voilà ce qu’on sent à Vienne, chez un peuple éminemment religieux et sensible ; et voilà pourquoi ce peuple a pu, sans impiété, faire incliner un mort devant un vivant.