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si aimé, où le triste foyer de la veuve allait se rallumer par les soins des deux filles restées, du moins, fidèles au seuil natal, jusqu’à ce que la mort prochaine souillât dessus. Elle éteignit en même temps la vie de la mère et l’âtre du Carrayrou de Mourancy, où les sœurs orphelines n’auraient plus qu’à attendre les longs retours du frère absent, — Antigones sacrifiées d’un autre Œdipe malheureux. Ceux que la gloire prend à l’aurore dans leurs foyers obscurs, elle risque tant de ne les rendre qu’au soleil déclinant, avec la nuit venue [1] !

Ce fut le cas de Ingres. Il avait heureusement

  1. Il faut rapporter à cette date une visite que Géricault fit à Ingres et que celui-ci résuma ensuite à M. Schnetz, en disant du peintre de la Méduse, qui n’avait pas été peut-être très communicatif devant les toiles de son collègue :

    — C’est un bâton !

    Depuis cette visite, Ingres ne revit plus Géricault, mort d’ailleurs, à quelque temps de là, de la manière dramatique que l’on sait. Mais l’implacable méridional écrivit, plus tard, dans ses cahiers, cette note qui surprend et que l’impartialité nous permet de citer ici : « Je voudrais qu’on enlevât du Musée du Louvre ce tableau de la Méduse et ces deux grands Dragons, ses acolytes ; que l’on plaçât l’un dans quelque coin du Ministère de la Marine, les deux autres au Ministère de la Guerre, pour qu’ils ne corrompent plus le goût du public qu’il faut accoutumer uniquement à ce qui est beau. Il faut nous délivrer aussi, une bonne fois, des sujets d’exécution, d’auto-du-fé et autres Est-ce là ce que la peinture, la peinture saine et morale, a la mission de représenter ? Est-ce là ce qu’on doit admirer, est-ce à ces horreurs qu’on doit se plaire ? Je ne proscris pas, pour cela, les effets de la pitié ou de la terreur ; mais je les veux tels que les a rendus l’art d’Eschyle, de Sophocle ou d’Euripide. Je ne veux pas de cette Méduse et de ces autres tableaux d’amphithéâtre, qui ne nous montrent de l’homme que le cadavre, qui ne représentent que le laid, le hideux. Non, je n’en veux pas ! L’art ne doit être que le beau et ne nous enseigner que le beau. » Quelle critique Ingres réservera-t-il à son meilleur ami Gilibert, quand celui ci osera aller poser chez Gros pour la Bataille d’Aboukir et peut-être pour les Pestiférés de Jaffa ?