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vous laisser ignorer tout ce qui est de notre situation. Tous, nous nous portons bien ; voilà l’essentiel. Voiei, après cela, l’état de la maladie au jour même où je vous écris. Les cas (de choléra) sont de quatre cents à six cents par jour, et les morts à deux cents environ. La maladie paraît décroître puisque, il y a huit jours, les morts n’étaient qu’au nombre de trois cents et plus. La plèbe est plus maltraitée. Aucun secours n’est organisé, une grande partie des médecins se refusent au service, et, par le malheureux système de la contagion, tous les Romains se fuient les uns les autres ou se fumigent, à se donner par cela seul la maladie. Jusqu’ici, le peuple du Borgo et du Transtevère meurt et ne dit rien. Quelques Français et les Jésuites se sacrifient par un effet de leur vive charité, sans succomber cependant, en soignant jusque dans les rues des malades dénués de tout. Tous les cholériques morts sont portés sans exception, bien encaissés, (seul bienfait du Gouvernement), au cimetière de Saint-Laurent, hors les murs. Et voilà ! Nous, nous faisons groupe à la villa Medicis ; nous nous tenons, comme des oiseaux effrayés, mais sans l’abri d’un grand arbre, jusqu’à ce que l’orage soit passé, vivant sobrement et le plus tranquillement possible. Moi, non pour chasser l’inquiétude, car je suis calme dans ce danger, mais pour chercher une forte distraction, je travaille toujours et j’y pense moins. Ma bonne femme est comme moi, mais trop attentive à me cacher ce qui se passe. J’étais mal instruit sur la vérité lorsque j’ai écrit à notre ami Dumont, à qui j’ai fait le portrait le plus anodin de notre situation. Instruisez-le mieux, si vous en avez l’occasion. Les pensionnaires, presque tous, ont voulu fuir, et, dans ce cas, pour ne pas me compromettre dans ce danger, je leur avais permis d’aller à Ancone, à Florence ou à Bologne, vivre en corps ; mais nous sommes bloqués à Rome. Personne ne peut en sortir, pas même un cardinal,