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trouvera que c’est parfait, je vois mille imperfections, et je ne recommence pas une fois, mais dix fois.

Voilà l’état présent du tableau que je fais ; il n’est encore qu’ébauché, et cela pour les raisons ci-dessus. Je n’en rougis pas. Jusqu’ici, il ne me donne que des espérances, selon l’idée où je voudrais arriver. Sentir, faire autrement, je ne le puis et aurais tort de l’essayer puisque c’est ainsi et par cela même que mes ouvrages sont remarquables et vivront d’autant plus que j’aurai été plus lent à les former.

Tout cela me rend-il heureux ? Non. Je crois un peu à la fin du monde dont on nous fait peur. Je veux me débarrasser honnêtement de ce qui me gêne par trop et vivre en bon bourgeois, comme on dit. Je n’ai pas de rentes ; mon état, ma petite position m’en donnent et je ne veux point me tourmenter. Mon tableau sera fini quand il sera fini ; ne le fût-il que dans dix ans, je ne m’en inquiète pas. Après cela, nous verrons. Je ne me refuse rien de ce qui est jouissance honnête. Je trouve, moi, que j’en ai assez fait. Je vis au jour le jour ; le matin, je me dispose à faire le trajet jusqu’au soir, le mieux possible et imitant les aimables convives de Boccace qui fuyaient la peste. Je ne veux plus me tourmenter et surtout pour les autres.

Mon excellente femme, la raison et la sagesse mêmes, tout en n’étant peut-être pas tout à fait de mon avis, n’en est pas si éloignée et, avant