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grec. On les appelait les artistes Romains, ou les pompiers du Capitole.

Ingres n’était qu’à la moitié de sa seizième année quand, à l’entrée de l’hiver de 1796, en compagnie du fils de son cher maître Roques, dont il n’oublierait jamais les premières leçons, il partit pour Paris et pour ce traditionnel « Tour de France » qu’avaient alors coutume d’entreprendre les pauvres artisans de tous métiers. Pour ce départ, le courageux voyageur ne quitta point sans un serrement de cœur cette artistique et gaie Toulouse, sa seconde Rome, au Capitole aussi glorieux pour lui que celui des grands Césars, d’où l’enfant grandi ne reviendrait plus à sa mère. Mais la jeunesse, si riche d’avenir, a tous les charmes. Nos deux piétons égayèrent, jusqu’à la capitale, leur route dure. Pour s’amuser ou pour gagner le pain qui leur manquait, chemin faisant, n’avaient-ils pas emporté dans leur musette, l’un sa flûte où Roques lutinait et l’autre son violon où Ingres, plus tard maître en peinture, prétendit surtout exceller ? D’une étape à l’autre et d’une auberge à un château, aubades et sérénades leur procurèrent, au hasard des rencontres, le gîte et le couvert. Ils atteignirent ainsi Paris et l’atelier de Louis David où la modeste recommandation de Roques les introduisit timidement.

On sait, par le livre de Delécluze qui l’a esquissé amplement, comment campait, dans une des grandes salles basses du Louvre, ce caravansérail populeux où la révolution des arts continuait celle de la politique, avec le maître du Serment du Jeu de Paume pour président de ces orageuses assises, rentre David qui s’obstinait, en peintre-sénateur de la République et du Consulat, à ne relever pour tout art nouveau que l’ancienne Rome, et ses élèves insoumis dont les plus classiques préféraient être des primitifs et remonter jusqu’aux Grecs, et dont les plus réfractaires se prévalaient des muscadins de leur époque et habillaient à la moderne leur modèles tintamar-