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nos amicales sollicitudes sur tout ce qui te touche. Nos inquiétudes pour toi ont été grandes, quand des journaux nous ont appris des troubles à Montauban.

Les hommes d’aujourd’hui ne valent pas, vraiment, la peine que l’on prenne parti pour eux ; les choses non plus. Car, est-ce vivre que vivre ainsi ? Quel aveuglement général ! Quelques Cassandre ont beau faire entendre leurs voix prophétiques, on est sourd. L’intérêt, le moi et la trahison, règnent. Quel avenir ! Avec tant d’éléments de bonheur et de gloire, il faut avouer que les hommes sont aussi bêtes que méchants. Je ne puis m’empêcher de le penser, toutes les fois que je jouis d’un beau jour, de tous les fruits de la terre, de la vue d’un bel viso virginale ou d’une symphonie de Beethoven. Car j’use de la musique, Dieu le sait ! depuis les bienfaits de la non-intervention et du juste milieu. J’en ai autant de besoin que pouvait en avoir Saül, pour sa guérison. Cela va assez bien un moment, mais lorsqu’elle cesse, je crois que la Mnémosyne m’agace encore plus les nerfs et me les rend « plus irritables encore.

Voilà donc mon état, depuis notre gloire surtout, et je vais pour la première fois te tenir un singulier langage. Je suis presque désenchanté sur mon avenir, fondé sur ce que j’ai appelé jusqu’ici la gloire. Il faut me donner beaucoup de mal parce je connais le beau, m’en tourmenter beaucoup, nuit et jour. Suppose que je réussisse : je ne puis être senti que d’un si petit nombre que le temps dimi-