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— Ah ! mon pauvre Charlet, dit-il, quel mauvais service tu me rends !

Aussi bien, la chute de cheval qui survint à Montmartre, quelques semaines plus tard, pour emporter l’artiste après un an de souffrances atroces, dans sa jeunesse et dans sa gloire, n’étonna— t-elle ni Charlet, ni aucun des amis de Géricault, lesquels sans connaître l’embarras momentané de ses affaires, ne purent s’expliquer une fin si désespérée chez un garçon dont l’âge et la valeur auraient suffi à relever vingt fortunes vingt fois plus compromises que la sienne.

— C’était du moins, ajoute Chenavard, le sentiment personnel de Delacroix qui, par égard pour la mémoire de Géricault, feint dans son Journal, d’ignorer cette histoire dont il m’a fait si souvent le récit. Son culte était extrême pour le jeune maître qui avait, à trente ans, peint le Radeau de la Méduse ; et il lui en donna certes une preuve le jour où, comme un vulgaire modèle, il voulut lui poser le buste et la tête d’un des héros meurtris de cette scène, à la ressemblance duquel vous avez déjà peut-être reconnu Delacroix… Mais revenons au peintre des Massacres de Scio.

Ce fut donc vers le mois de mars de cette féconde année 1824, que Delacroix envoya son deuxième tableau, encore peint sur les genoux et sous la toiture trop basse du grenier de Mme Henriette de Verninac. sa sœur. Fait et refait deux fois, quand il partit pour le Louvre il n’était pas encore terminé. Mais la bienveillance de Gros, qui se plaisait à suivre Delacroix dans ses débuts et à son insu même, fit accorder au jeune exposant la permission d’achever sur place son travail : faveur précieuse, qui permettait de peindre son tableau dans la lumière même où il serait exposé, et que n’obtenaient guère pour les leurs que les chefs d’atelier et les maîtres reconnus de l’école.