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beau génie qui allait naître au mouvement et à l’éclat de l’Art nouveau, un grand génie allait mourir en beauté des Antiques dont le correct peintre d’Œdipe s’appellera, non sans honneur, le dernier.

Vers 1820, en venant s’installer dans la cité des Médicis pour une nouvelle station de son génial martyre, Ingres, aux dents dures et aux ongles redoutables, ne se proposait pas précisément d’y renouveler la légende compatissante du bon lion de Florence. Il s’échappait, au contraire, des arènes romaines où cet autre lion blessé n’avait pas rencontré un autre Androclès. Cette Rome, si chère à David qui en avait voulu continuer l’école des types classiques sans caractères individuels, pouvait-elle être plus clémente à cet autre classique de l’idéale beauté dont il restait l’adorateur et l’esclave ; mais avec des révoltes secrètes d’amant et de copiste de la Nature, maîtresse de toutes les Ecoles, qui en eût fait aussi bien, si Ingres l’avait voulu, son Spartacus libérateur. Ils étaient trop, ceux qui lui faisaient écrire en hurlant de rage : « Ils m’ont trahi vilainement ! » Et il était assez, lui, qui ajoutait résolument devant « ces ouvrages que personne ne vient voir et encore moins acheter… Si j’éprouve de nouveaux tourments, j’irai de grand cœur me fixer et finir à Montauban ».

En attendant, notre lion blessé est à Florence, d’abord chez ce bon Bartolini, qui le soigne et qui va devenir aussi « un Gascon » comme les autres ; ensuite, dans cette Via delle belle Donne, où il restera à cet irréductible contempteur de tout ce qui n’est pas divin, dans la vie comme dans les arts, de s’enfermer dans sa misère avec sa femme qui lui confectionnera tout « entièrement de ses mains, excepté l’habit ». Est-ce sa faute, s’il s’est trop accoutumé à la beauté supérieure, de voir tout le reste en laideur, — son art même, dont il désespère ? « Plus je suis touché du,