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à d’autres maîtres plus épris de la Nature même en son étude directe, que de son interprétation à travers le prisme lumineux, mais brisé, des Antiques ? Ces premiers maîtres de l’art ancien n’avaient-ils pas contemplé face à face cette première maîtresse de l’idéal toujours nouveau ; et les timides neveux, qui s’astreindraient à ne la voir qu’à travers les yeux de leurs ancêtres, ne renouvelleraient-ils pas simplement en Art ce qu’en Politique on appelle la théorie du miroir brisé ? Et puis, si les âges ont pu nous conserver les œuvres de la statuaire antique pour servir idéalement à notre éducation artistique, n’avons-nous pas à regretter que toutes celles de la peinture aient péri ? Mais, alors, que peut apprendre le pinceau moderne de l’ébauchoir ancien, pour l’expression de la beauté par ces deux arts dont la technique est si différente, si l’esthétique en est la même ; à moins que la roideur des formes sculpturales puisse s’harmoniser avec la souplesse des évocations picturales ? Quelque cruauté qu’on éprouve à détruire le rêve qu’un grand génie avait cru aussi éternel que ces règles de beauté chez les Antiques qui interprétèrent directement la Nature, alors que lui ne chercherait qu’à reproduire indirectement cette même Nature d’après ces mêmes Antiques ; il faut, semble-t-il, plaindre le sort de ce nouveau Prométhée s’enchaînant lui-même sur le rocher froid des Classiques, sans vouloir regarder le soleil de tous les âges et de toutes les inspirations qui se lève déjà, sur le champ si restreint jusqu’alors de la peinture moderne que ne régentera plus la froideur de la statuaire antique et qui, toute chaude de vie et toute éclatante de jeunesse, demande enfin sa place au grand jour. Ce Prométhée des Classiques, dont il fut le dernier, s’appelât-il Ingres ; et ce Lucifer des Romantiques, serait-il Delacroix, le premier en toute impartialité ; il ne nous appartient ici que de constater comment, à côté d’un