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tableau, qui est tout italien, est heureusement arrivé pour arrêter le mauvais goût. Le nom de Raphaël, (bien indigne que j’en sois), est rapproché du mien. On dit que je m’en suis inspiré sans en rien copier, étant plein de son esprit. Enfin, les éloges ont commencé par la bouche des premiers maîtres, Gérard, Girodet (et surtout celui-ci), Gros, Dupaty, et tous entin. Je suis de tous les côtés félicité, aimé et considéré bien plus que je ne m’y attendais, je t’assure. Car je ne suis venu ici qu’en tremblant et, d’ailleurs, même, peu satisfait de mon ouvrage pour la peine qu’il m’a donnée, parce que mon imagination rêve en face des grands modèles à imiter, que mon exigence est grande en tout ce que je fais. Je dois cependant te dire que, exposée (ô bonheur inexprimable !) dans ce terrible Salon où je suis tombé tout d’un coup, je ne suis pas trop mécontent de mon tableau, qui est amélioré par son effet.

M. le comte de Forbin, Granet et tous les maîtres m’ont servi à l’envi et travaillent à me servir encore. Pour le bonheur de ces jours de joie, qui ont toujours été si rares et qui sont même les premiers, il ne me manque plus que la présence de ma femme et de mon ami. Je dois prendre patience et penser qu’on ne peut pas tout avoir en ce monde et que, plus tard, indubitablement, nous réparerons le temps perdu par notre réunion. C’est avec ce charmant espoir que je vis et te voue mon amitié pour la vie.

Ton Ingres.