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« Malgré leur très haute valeur, les partitions du Vaisseau fantôme, de Tannhæuser et de Lohengrin ne sont, en effet, que les essais d’un génie ignorant encore sa prodigieuse audace. La part de la convention y est considérable et Wagner n’hésite pas à l’avouer. Dans Tristan son idéal s’est clairement dégagé, et l’art nouveau, dont il a été le fondateur et l’apôtre, s’y affirme avec une sincérité qui n’admet pas de transaction.

« Si la partition de Tristan nous apporte la forme dernière et définitive de l’art de Wagner, on peut dire que, d’un autre côté, c’est son œuvre la plus théâtrale [1].

« Tout ceci étant exposé sans réticences, on se demandera, comme je me le suis demandé moi-même, s’il n’est pas téméraire de faire entendre au concert une partition qui réclame si impérieusement l’illusion de la scène.

« Je répondrai tout d’abord que j’ai eu confiance dans l’esprit ouvert et tolérant de mes compatriotes. J’ai compté, je l’avoue, qu’ils arriveraient à suppléer par un effort de leur imagination à l’absence de l’illusion scénique. Cet effort, je tâcherai de le seconder, autant qu’il est en mon pouvoir, par un programme détaillé, sur lequel on pourra suivre, pas à pas, les mouvements de la scène. Je considère donc l’audition que je donne comme une sorte de répétition de la musique (abstraction faite du travail de la mise en scène), répétition à laquelle le public serait admis par une exception toute spéciale.

« Une deuxième raison, et celle-là à mes yeux est décisive, c’est que, dans l’état actuel de notre théâtre musical, on ne peut prévoir à quel moment les conceptions dramatiques de Wagner — je parle bien entendu de celles de la dernière manière — trouveront une interprétation digne d’elles, sur l’une de nos grandes scènes parisiennes. Il faut bien alors qu’on se risque à les donner au concert.

  1. « Si jamais tragédie, dit M. Édouard Schuré, fut écrite pour la scène, c’est Tristan et Yseult. Chaque geste y parle, chaque mot y agit. Tout y est plastique, ramassé en peu de paroles ; mais d’autant plus puissante déborde dans la musique la vie torrentielle qui l’anime : verbe et mélodie se mêlent impétueusement dans le grand flot de l’harmonie, dans le fort courant de l’action. »