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suivre Gœthe sur les sommets où sa fantaisie puissante s’est élevée : aussi resteront-ils, chacun à leur manière et suivant leur tempérament, les véritables traducteurs d’une partie de son Faust.

Hector Berlioz, avec sa nature impétueuse, fantasque, shakespearienne, a pris dans le poème allemand les scènes qui convenaient à sa puissante et nerveuse fantaisie, et qui avaient exercé, de longue date, une séduction irrésistible sur son esprit. Dans le scénario de sa Damnation de Faust, il s’éloigne souvent de l’œuvre primitive ; l’idée principale de Gœthe n’est pas son objectif. Sa traduction musicale, elle aussi, se ressent plutôt de sa passion pour Shakespeare que de son admiration pour Gœthe. Des pages telles que la Marche sur le thème hongrois de Rakocsy, la scène de la taverne d’Auerbach, révèlent un tempérament qui s’épanouit plutôt au dehors qu’en dedans et dans lequel on sent vibrer surtout la fougue inhérente à la race française [1].

Dans ses Mémoires, dans son Avant-propos, Berlioz déclare hautement qu’il n’a cherché ni à traduire ni à imiter Faust, mais seulement à s’en inspirer et à en extraire la substance musicale qui y est contenue. Il s’excuse également d’avoir osé toucher à un chef-d’œuvre, en y apportant de nombreux changements. Certes, il faut lui savoir gré d’avoir fait à ce sujet, son mea culpa ; mais

  1. « Berlioz ne me connaît pas ; mais moi je le connais et si j’attends quelque chose de quelqu’un c’est de lui ; à la condition toutefois qu’il ne continue pas à traiter la poésie comme il l’a fait dans son « Faust » ; car il ne peut faire un pas de plus dans une telle voie sans tomber dans le plein ridicule. Si un musicien a besoin d’un poète, c’est Berlioz. Et son erreur c’est que ce poète, fût-il Shakespeare ou Gœthe, il l’accommode toujours selon son caprice musical... »
    Richard Wagner, Lettre à F. Liszt, 8 septembre 1852.