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Mme de Staël, dans ses belles études sur l’Allemagne, a donné cette conclusion éloquente sur Faust : « Quand un génie tel que celui de Gœthe s’affranchit de toutes les entraves, la foule de ses pensées est si grande que de toutes parts elles dépassent et renversent les bornes de l’art. »

Gœthe, en effet, s’est placé sur des hauteurs sublimes pour contempler en même temps ce qu’il appelle le macrocosme et le microcosme (littéralement le grand et le petit monde). Il a fait là une œuvre dans laquelle les personnifications abstraites tiennent une grande place. Marguerite (Gretchen), elle, est réellement vivante ; son action est limitée dans le drame qui aboutit à elle, mais qu’elle ne remplit pas tout entier, il s’en faut. C’est ce qu’ont parfaitement compris H. Berlioz et, mieux encore, R. Schumann, en donnant une place relativement restreinte au rôle de Marguerite dans l’ensemble musical créé par eux [1]. Avec quel tact Schumann s’en est tenu à cette première floraison à peine entr’ouverte de l’amour dans la scène du jardin, hors de laquelle il s’abstient de rappeler Faust et Marguerite en présence ! En outre et, à juste titre, l’un et l’autre ont repoussé la forme de l’opéra avec ses conventions et ses adjonctions qui modifient toujours le sens du texte, pour adopter celle vraiment rationnelle du poème symphonique et choral. Ils ont cherché ainsi à

  1. « Schumann, a dit Léonce Mesnard, dans son excellente étude sur le Maître de Zwickau, a presque laissé dans l’ombre le personnage de Méphistophélès qui lui apparaissait nécessairement dès qu’il abordait Faust ; il lui a assigné à tout le moins une place restreinte où il figure non pas tant comme l’Esprit du mal incarné qu’à titre de porte-malheur, de messager funèbre chargé de prononcer, à côté de Marguerite, trop bien préparée par le remords à l’entendre, à côté de Faust, trop distrait par ses hautes et fécondes entreprises, l’ironique, le sévère oracle qui équivaut à une sentence de mort. »