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TITOU.

Va donc ; je n’irai pas crier à son de trompes
Ce que je sais ; je suis bon garçon, brave ami ;
Je ne resterai pas camarade à demi,
Le compagnon Titou n’est pas une crapule.
Tu peux continuer sans crainte et sans scrupule…
Amuse-toi… Pour moi, l’amour ça ne me vaut rien
Et les femmes je les regarde comme un chien.
D’ailleurs j’ai mon amour, d’une essence nouvelle,
Qui me monte et me va du cœur à la cervelle.
C’est une passion qui gronde là-dedans ;
Elle crispe ma lèvre et fait grincer mes dents.
Mon amour c’est la haine implacable et féroce
Qui me poigne à la gorge et m’éreinte et me rosse.

JEP, avec un empressement affecté.

Un ennemi, Titou ? Prends-moi : Je te promets
Aide et concours si tu le désires jamais.

TITOU.

J’aurai besoin de toi peut-être… Alors écoute,
Car je dois t’en conter un peu, coûte que coûte.
Quoiqu’il ait là-dessus passé près de quinze ans,
Ces souvenirs anciens me sont toujours présents,
Gravés au fond de moi sans que rien les efface…
J’étais gamin et nous habitions Poix, en face
Le Rocher, et ma mère, infirme, qui toussait
Et qui boîtait avait cinquante ans, et moi sept.
Mais Cadette, ma sœur, modiste et couturière,
Faisait que rien chez nous ne restait en arrière,
Et, très brave de cœur et très leste des doigts,
Car je lui rends justice ainsi que je le dois,
Elle savait toujours tenir la maisonnée
Propre et fournie en tout au bout de la journée.
Aussi, tant qu’il en fut ainsi nul ne pâtit
Au logis, nul de nous, la vieille ou le petit.