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Madame Linde.

Combien as-tu pu payer de la sorte ?

Nora.

Il me serait difficile de te le dire exactement. Ma petite, il n’est pas aisé de débrouiller de genre d’affaire. La seule chose que je sache c’est que j’ai payé tout ce que j’ai pu. Bien souvent je ne savais où donner de la tête… (Elle sourit.) Alors je pensais qu’un vieux monsieur très riche s’était épris de moi.

Madame Linde.

Quoi ! Quel vieux monsieur ?

Nora.

Pur enfantillage… Il mourait et on ouvrait son testament. On y trouvait en gros caractères cette clause : « Toute ma fortune appartient à la délicieuse madame Nora Helmer, et lui sera remise sur le champ ».

Madame Linde.

Mais, chère Nora, quel est ce vieux monsieur ?

Nora.

Mon Dieu ! tu ne comprends rien, ma chère. Ce vieux monsieur n’existe pas. C’est une idée qui naissait dans mon cerveau quand je ne voyais pas le moyen de me procurer de l’argent. Enfin tout ceci est maintenant tout à fait sans intérêt. Le vieux monsieur peut être bon lui semble ; ni lui, ni son testament ne m’inquiètent parce qu’à présent je suis tranquille. (Elle se lève d’un trait.) Mon Dieu ! Quelle joie que d’y penser : tranquille, pouvoir être tranquille, tout à fait tranquille ! Jouer avec les enfants, bien arranger la maison, avec goût, comme Torvald peut le désirer. Puis viendra le printemps, le beau ciel bleu. Peut-être alors pourrons-nous un peu voyager. Retourner voir la mer ! Oh ! quelle chose adorable de vivre et d’être heureuse !

On sonne.