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me voir danser, me travestir et déclamer pour le divertir, il sera bon peut-être que j’aie alors quelque chose à qui m’accrocher… (Elle s’arrête.) Bah ! ce temps-là ne viendra jamais… Eh bien ! Christine, que penses-tu de mon grand secret ? Moi aussi, je suis bonne à quelque chose. Tu peux penser que cette affaire m’a causé beaucoup de soucis. Certes il ne m’était pas facile de payer à des échéances fixes, parce que dans les affaires il y a d’une part ce qu’on appelle les trois mois et ce qu’on appelle l’amortissement, et tout cela est diablement difficile à arranger. Il m’a fallu rogner de tous les côtés sur les dépenses de la maison. Je ne pouvais pas économiser grand chose. Il fallait que Torvald ait une vie facile ; les enfants non plus ne devaient pas être mal vêtus. Tout ce que je recevais pour eux, c’était leur chose, mes chers petits anges !

Madame Linde.

De sorte, ma pauvre Nora, qu’il t’a fallu tout prélever sur tes dépenses personnelles.

Nora.

Naturellement. Après tout ce n’était que juste. Toutes les fois que Torvald me donnait de l’argent pour moi, je n’en dépensais que la moitié. J’achetais toujours les articles bon marché. Par bonheur, tout m’allait bien. Aussi Torvald n’a jamais rien remarqué. Mais parfois cela m’était dur, Christine, il est si agréable d’être élégante. N’est-il pas vrai ?

Madame Linde.

Je crois bien.

Nora.

J’ai eu aussi d’autres recettes. L’hiver dernier j’eus le bonheur de trouver beaucoup de copies. Alors je m’enfermais et j’écrivais jusqu’à une heure avancée de la nuit. Oh ! souvent je me trouvais fatiguée, très fatiguée. Mais c’était bien amusant de travailler pour gagner de l’argent. Il me semblait presque que j’étais un homme.