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croquis ne vaut celui qu’a tracé le plus résolu des incompréhensifs d’alors, j’ai nommé Francisque Sarcey.

Il est de bonne guerre de reproduire cette page :

« Je me rappelle, comme si c’était hier, cette inoubliable soirée du 30 mars 1890, où nous fut donné au théâtre Montparnasse la première représentation des Revenants[1]… Le bataillon sacré des Ibséniens était à son poste, l’air menaçant et les yeux agressifs. C’était dans toute la salle un frémissement d’attente ! Deus, ecce deus. On sentait que si quelque iconoclaste se fût permis l’horrible inconvenance de laisser échapper un geste de doute, il eut été roulé sous le mépris et l’injure ! Ceci n’était pas à vrai dire une pièce qu’on jouait sur un théâtre ; c’était un office religieux que l’on célébrait dans un temple, il était coupé de temps à autre par des cris furieux d’enthousiasme, mais le reste du temps c’était une ardeur d’attention, une ferveur de respect que personne ne se serait avisé de troubler. Combien y avait-il de profanes dans l’assemblée ? Je l’ignore. Il s’en trouvait pourtant. Je le sentais à des regards éperdus et navrés que me lançaient des impies forcés au silence par la gravité de ces mystères… Les Ibséniens avaient adopté une tenue et une coiffure particulière auxquelles ils se reconnaissaient. Hommes et femmes étaient arrangés à la Botticelli !

  1. Ce n’est ni le comte Prozor ni M. Jules Lemaître qui mirent Antoine sur la voie d’Ibsen. À l’une des répétitions d’Esther Brandes, rue Blanche, il me souvient qu’Émile Zola recommanda chaleureusement la pièce au directeur du Théâtre Libre. Antoine se plaignait de la mauvaise traduction qui lui avait été communiquée. C’était une version de M. de Hessem faite d’après l’allemand. Les répétitions d'Esther Brandes sont de 1887. Trois ans après, Rodolphe Darzens fournissait à Antoine la traduction rêvée par lui.