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vêt de dignité grave, elle est sérieuse parce qu’il s’agit d’une chose sérieuse et qu’elle, aussi bien que Rank, prend sérieusement.

Tout ce caractère de Rank, tout son rôle sont d’une composition merveilleuse.

Selon le mot très égoïste de Torvald, il fait bien le fond sombre du tableau ensoleillé du bonheur des Helmer ; son apparition au troisième acte est une intervention des plus heureuses.

Je ne sais si, comme le voulait Francisque Sarcey, Ibsen ne possédait à fond le métier dramatique que parce qu’il avait beaucoup pratiqué Scribe. Comme tous les hommes de ma génération, je n’ai jamais éprouvé le culte de ce maître des ficelles. Même, pour être franc, je crois que nous avons toujours professé pour lui un dédain qui confine au mépris. Ce sentiment était peut-être injuste, mais il était. Ce qui ne nous empêchait pas, nous autres lecteurs de la première heure, d’admirer Ibsen, non point en snobs, mais avec beaucoup plus de sens critique que ne le pensèrent ceux qui haussaient les épaules quand on leur parlait alors du génie du Nord.

Il est vrai que nous étions fort peu nombreux[1] ; le nombre n’est venu qu’un peu plus tard lors des représentations d’Antoine et de Lugné-Poé.

C’était, je l’avoue, un curieux public que celui qui se pressait aux premières représentations d’Ibsen. Il a été décrit plusieurs fois ; mais je crois fort que nul

  1. Francisque Sarcey, en 1896, quand le succès s’accentua croyait que 500 lecteurs avaient la première année répondu à l’appel du préfacier Édouard Rod. Il se trompait. En dehors de la distribution à la presse, il ne s’était vendu un an après la mise en vente que 89 exemplaires, plus de la moitié hors frontières.