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nant la préférence à l’irrégulier sur l’honnête homme de façade.

Madame Linde va à Krogstad par un sentiment de pitié. Fait-elle un sacrifice ou, comme elle le dit, se sent-elle attirée vers lui par une inclination à laquelle elle ne veut point résister, parce qu’elle a foi en ce qu’il y a au fond de lui, parce qu’avec lui rien ne lui fera peur ? A-t-elle la certitude de relever cet homme à la mer, ce naufragé qui n’a même plus la planche de salut à laquelle il se cramponnait ?

Qu’elle y croie ou qu’elle n’y croie pas, qu’elle se sacrifie ou qu’elle cède à un irrésistible penchant, peu importe ! Ibsen, d’ailleurs, nous a renseigné par un mot d’elle, un mot amer : « Quand on s’est vendue une fois pour sauver quelqu’un, on ne recommence pas ».

En tout cas, pour Krogstad, le retour de madame Linde, c’est la récompense tandis que pour Torvald le départ de Nora c’est le châtiment.

La silhouette, étrange et burinée comme à l’eau forte, en traits inoubliables, du docteur Rank, est une de celles qui ont suscité le plus d’indignation, aussi bien en Norvège qu’en Angleterre.

Pour certains critiques de l’autre côté de la Manche ou de la mer du Nord, la scène où le docteur Rank déclare ses sentiments à Nora, a été un scandale aussi grand que les scènes les plus hardies et les plus violentes de notre théâtre naturaliste.

Je sais, cependant, peu de choses aussi exquises, aussi délicates, que les quelques mots de tendresse contenue qui échappent à Rank et la réserve si pudique, si honnête femme, le regret si sincère, avec lesquels les accueille Nora.

Au début de la scène, elle a flirté avec une mutinerie d’enfant libre et capricieuse ; mais alors elle se re-