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mais cette colère, très bien préparée par le caractère donné à Torvald, est un amoindrissement de la valeur psychologique du cas choisi par le dramaturge. Elle s’explique parfaitement par tout ce que nous savons de Torvald au moment où elle éclate, mais si en face de l’avocat, type qui n’a rien d’essentiellement norvégien, un auteur dramatique de chez nous avait placé une Parisienne, les griefs, qui s’expriment plus tard par la bouche de Nora, auraient certainement revêtu, dans une forme passionnelle autrement intense, une acuité de personnalisme qui s’épancherait en reproches empreints du froissement que subissent à la fois le cœur et l’amour propre de Nora.

Qu’importerait en effet à une Parisienne les griefs d’éducation conjugale, cette sorte de mépris de sa personnalité qui l’a fait contenir dans un rôle futile de petit animal apprivoisé ? Que serait tout cela au prix de ce fait, primant tous les autres, que celui qu’elle aime ne sait pas l’aimer, qu’il n’est pas l’ami et le protecteur des heures mauvaises et, révélation plus atroce encore que les autres, qu’il a été lâche à l’heure du danger.

Mais, ces défauts loyalement signalés, il faut reconnaître qu’ils sont volontaires de la part d’Ibsen, peut-être parce que la femme qu’il met en scène n’est pas une Parisienne mais une Norvégienne, une femme de pays froid, de pays où sous la neige bouillonne le feu, une cérébrale plutôt qu’une passionnée.

De même, on a remarqué que dans le duo Krogstad — madame Linde, qui fait la contre partie du duo Torvald Nora, il a pu y avoir de la part d’Ibsen le désir, qui s’est marqué dans beaucoup d’autres de ses drames, d’opposer, à l’homme correct ou régulier, suivant les idées reçues, le bohème et l’outlaw en don-