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audaces par lesquelles l’être faible et ignorant, poussé à bout par la nécessité, sort de la légalité pour rentrer dans le droit, le droit à la vie pour celui que Nora aime plus qu’elle-même, pour celui à qui elle voudrait se dévouer toute entière.

Aussi sommes-nous dans l’impossibilité de comprendre que Torvald Helmer, si dominé qu’il soit par la pensée des conséquences que peut avoir la folle imprudence de Nora, n’ait pas une seconde la force de la consoler et de la rassurer et que sa colère le porte à un verdict qu’aucun spectateur ne pourrait ratifier.

Rien ne peut lui faire pardonner la brutalité avec laquelle il prétend interdire à Nora d’élever ses enfants, l’autoritarisme féroce avec laquelle il lui signifie qu’il faut « que tout soit comme si rien n’était changé ». Et pour nos âmes françaises, qui vont ici, il me semble, plus droit au but que les âmes norvégiennes, l’étonnement est grand que rien dans le cri de révolte de Nora ne vise cette intempestive sévérité à l’heure de la suprême bourrasque pour la fragile poupée.

Il est vrai, d’autre part, et ceci est une faute de l’auteur dramatique, que Nora n’a pas un mot pour expliquer les mobiles qui sont l’excuse de son infraction aux lois. Je sais bien que Krogstad, en lui disant qu’il écrivait à son mari, l’a prévenue qu’il lui « disait tout avec les plus grandes atténuations possibles ». Mais que signifie cette parole dans la bouche de Krogstad ?

Doit-elle suffire à Nora pour qu’en présence du courroux de Torvald elle n’ait point le désir, en protestant contre son injustice, de remettre les choses au point ?

Sans doute Ibsen a préféré nous la montrer comme médusée, anéantie par la colère à laquelle elle assiste,