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obsession ne peut se produire sans que la figure qui la provoque ait été vue de façon à se graver pour toujours dans la mémoire et dans la fantaisie. Des traits, des attitudes, des tics doivent l’avoir rendue plus individuelle et, en quelque sorte, plus réelle que toutes les autres. Il faut à ces impressions, pour qu’elles soient stimulantes et suggestives, une précision extrême. Vous, artiste, vous, comédien, vous le savez mieux que personne. C’est à des impressions très précises produites par des figures nettement accusées, dans des circonstances nettement déterminées, que se rattache l’éveil dans plus d’un d’entre nous, de certaines idées dominantes auxquelles notre esprit reste à jamais assujetti. Ce fait donne à l’art que vous servez le secret de sa puissance. Pour avoir su utiliser ce secret, Ibsen est devenu le révélateur qu’il est. En l’utilisant à votre tour, vous pouvez attacher votre œuvre à son œuvre et votre nom à son nom. Opérez sur notre esprit comme la vie a opéré sur le sien et comme elle opère sur la vôtre, et vous serez l’artiste qu’il veut que vous soyez, comme nous serons, grâce à vous, ne fût-ce qu’un instant, les hommes qu’il veut que nous soyons ! »

Voilà, dira-t-on, bien des règles, bien des prescriptions, quand il s’agit de celui qui s’est écrié par la bouche de Mme  Alving : « Ah ! ces règles et ces prescriptions ! Il me semble parfois que tous les malheurs de ce monde en procèdent. » Oui, mais c’est que, dans son propre œuvre, la règle, la maudite règle finit par dominer, tyrannique, absolue. Il riait, je m’en souviens, de se voir proclamé apôtre en anarchie. « Cela tient simplement, me disait-il, à la bévue