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tenir. Ils ont de quoi transformer le costume, le grimage et le fard en instruments servant à l’expression de la vie, et cela parce qu’il y a quelque chose à exprimer, parce qu’il y a de la vie employant ces instruments et les empêchant de nous choquer plus que ne nous choquent la couleur et la toile d’un tableau quand la couleur et la toile sont devenues évocatrices de vie. Oh ! mais, pour en arriver là, il faut soutenir cette vie de toute la force de son intuition propre. Il faut la maintenir dans les conditions où elle doit se manifester sur la scène. Il faut lui conserver la fantaisie dont l’a douée le poète. Il ne faut détruire cette fantaisie ni par des effets de prêche, ni par des effets de clinique, ni par des affectations d’intellectualité, ni par des affectations de réalisme. Il ne faut pas de ton doctrinal nous empêchant de sentir ce qui émeut Nora Helmer, ni de hoquet nous empêchant d’entendre ce que dit Oswald Alving. Il faut qu’on saisisse la passion et la souffrance à travers la pensée et il faut qu’on saisisse la pensée à travers la passion et la souffrance. Encore une fois, je sais que tout cela est très difficile. Mais la difficulté, qu’on se le dise bien, a existé avant tout pour Ibsen lui-même. La façon magistrale dont il s’en est tiré a de quoi exalter et inspirer ses interprètes. Qu’ils fassent comme lui. Qu’ils s’effacent partout derrière les personnages, sans rien perdre de l’impulsion qui les soutient dans leur jeu. Qu’ils comprennent aussi profondément que possible et nous conduisent à la compréhension, mais sans jamais avoir l’air de nous dire : « Je comprends. » Qu’ils nous laissent cette satisfaction à nous-mêmes.