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idée vivante et, en le comprenant, vous comprenez, toujours d’une façon irréfléchie et inexprimée, que, vous aussi, vous êtes une idée vivante et que tout l’est autour de vous. La vertu contagieuse de l’art vous fait vivre en cet instant ce qu’il y a en vous de vie impérissable. Vous transportant dans la région des idées, elle vous la fait sentir en même temps comme une région de vie.

Et vous ne pensez pas davantage que l’acteur costumé, grimé et fardé qui est devant vous est parfaitement ridicule de vous dire des choses graves et édifiantes qu’il a apprises par cœur. Garces choses, sur la scène, sont elles-mêmes costumées, grimées et fardées, comme celui qui les dit. Ce n’est qu’en vous qu’elles redeviennent graves et édifiantes, comme elles l’étaient dans l’intime pensée du poète. Quanta la transmission scénique, elle s’est faite selon les règles scéniques. La fiction, la fantaisie ont tout dominé. La vérité a revêtu les apparences du mensonge théâtral, sans quoi ce mensonge vous eût, en effet, choqué par contraste. La disposition créée par la magie de l’art se serait aussitôt évanouie et une volonté rebelle se serait dressée en vous contre la volonté du poète. Pour lui, il ne s’agissait pas de vous convaincre. Il s’agissait de vous entraîner par la griserie artistique. Il ne fallait pas qu’une parole de pure raison, directe et crue, dissipât cette griserie. Pour produire un effet vivant il, faut une œuvre vivante ; une pièce meurt sitôt que la conférence s’y met. Et ce qui disparait en elle ce n’est pas seulement sa force dramatique, c’est encore sa force morale. Ce n’est pas le jeu qui de-