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théâtre. Et ce sera tant mieux, même pour l’effet moral à obtenir. Car l’atmosphère que vous aurez respirée là est une atmosphère de fantaisie créatrice de pouvoir souverain, le pouvoir de l’artiste sur son œuvre ; c’est cette atmosphère après laquelle il est si difficile de vivre dans le renfermé des usages et des convenances. Ce n’est pas par persuasion, c’est par vertige que le maître vous aura entraîné dans son orbite et gagné à la cause qu’il sert. Il vous aura montré un Thomas Stockman délivré de toutes les entraves, même de celles du sens commun. Il dit à ses enfants qui lui demandent : « Qu’allons-nous étudier maintenant ? » — « Absolument rien. » Il dit à sa femme qui lui demande : « De quoi vivrons-nous ? » — « Bah ! il me reste la clientèle de ceux qui n’ont rien. » Et vous ne réfléchissez pas que le docteur Henrik Ibsen, qui fait dire ces choses à son héros, a fait de son fils un des citoyens les plus cultivés de son pays, dont il est aujourd’hui le premier homme d’Etat ; ni que la clientèle du Dr  Henrik Ibsen, que son public ne lui a pas seulement donné de quoi faire vivre ses idées mais encore de quoi faire vivre sa famille. Vous ne réfléchissez pas à cela parce que vous avez devant vous non pas le docteur Henrik Ibsen parlant par la bouche de son personnage, mais le docteur Thomas Stockman ayant reçu de son créateur une personnalité propre et une existence autonome. Vous ne vous dites pas non plus que cette existence s’évanouira tout à l’heure, le rideau une fois baissé après le dernier acte. Car vous la sentez éternelle, car vous comprenez, sans vous en rendre compte, que Thomas Stockman est une