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sur eux, à leur tour, un effet de réactif qui les oblige à montrer peu à peu le fond et le tréfond de leurs âmes. Le spectacle s’anime graduellement jusqu’au fantastique, jusqu’à une vraie bacchanale de bassesses, de convoitises et de perfidies. En même temps, il se concentre autour d’un même trait et d’une même machination. Le trait qui unit les Hovstad, les Aslaksen, les Pierre Stockman dans l’abjection et dans l’impuissance c’est d’être condamnés par la vulgarité de leurs natures à voir l’âme d’autrui composée des mêmes éléments grossiers que la leur.Delà, pour eux, l’impossibilité absolue de s’élever jusqu’à la connaissance des hommes supérieurs et d’avoir prise sur eux. Leur astuce n’arrive pas et ne peut arriver plus loin que de chercher et de croire trouver le mobile secret qui a fait agir le docteur, d’imaginer ce mobile pareil à celui qui les aurait fait agir eux-mêmes et de tabler là-dessus. On a vu Martin Kùl, de qui les enfants de Thomas Stockman doivent hériter, battre la ville et, profitant de la panique, acheter à vil prix les actions de l’établissement. Nul doute : le tout était un coup monté entre l’oncle et le neveu. Et voici ce dernier excitant, tout à coup, non plus le mépris de ses mirmidons, ce mépris dont ils l’avaient accablé la veille, mais leur admiration, leur envie, leur convoitise. Les voici s’appliquant maintenant à le faire chanter et arrivant enfin à lui arracher les dernières écailles des yeux, et à lui découvrir un abîme de boue plus profond encore que celui qu’il supposait, si profond qu’il en éprouve lui-même un vertige éphémère. Quand, du fond de cet abîme, surgit la figure presque diabo-