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jous, à travers les âpretés de sa volonté tendue, une note attendrie, nostalgique, évoquant l’idéal de douceur et d’amour dont force lui fut de se détourner pour faire œuvre de vie ? ou Nietzsche, apportant une fiévreuse ardeur à étouffer cette note et y dépensant le meilleur de ses forces ? Ibsen, qui se dérobe aux particuliers et se livre à tous ? ou Nietzsche, passionnément communicatif envers tous ceux qu’il appelle, et finalement impénétrable à la plupart de ceux qui lui arrivent ? Ibsen qui, pour la dénonciation du pacte social et pour l’exaltation des énergies qu’il étouffe, ne voit pas de meilleur agent que la femme, puisque ce pacte, conclu en dehors d’elle, n’a pas de prise sur sa nature et qu’ainsi, chez elle seule, se retrouvent, à l’état primitif, les énergies à stimuler ? ou Nietzsche, aux yeux de qui la fonction de la femme n’est pas de stimuler ces énergies, mais de leur servir d’épreuve, la femme représentant l’insidieuse nature dont nous avons à triompher ? Ibsen le misanthrope ou Nietzsche le mysogine ? Ibsen demandant que nous soyons nous-mêmes ? ou Nietzsche demandant que nous soyons plus que nous-mêmes ? Ibsen avec sa volonté de constance contre laquelle tout doit se briser ? ou Nietzsche avec sa volonté de puissance qui, elle-même, brise tout ? Ibsen mettant deux ans à composer chacun de ses drames ? ou Nietzsche écrivant en vingt jours les deux premières parties de Zarathoustra ? Ibsen avec sa forme d’art ferme comme la loi ? ou Nietzsche avec la sienne agile comme la guerre ?

Tout cela M. Georges Brandes le sait bien. Il connaît les deux hommes dont il s’agit, tous deux étant