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insu. Elle a un caractère suggestionnant et stimulant qu’Ibsen rend sensible par l’intervention, chaque fois, d’une femme qui, tout en agissant sur le héros d’une façon déterminante, n’obéit pourtant qu’à une impulsion qu’elle a reçue de lui-même, sans qu’il s’en fût douté. Être réceptif par excellence, la femme a recueilli ce que l’homme a de plus profond et de plus inconscient au fond de sa nature, elle l’a conservé intact en elle, à l’abri des forces contraires, à l’abri de l’esprit de compromission, et, le moment venu, elle le lui rend impulsivement, irrésistiblement.

Cela est vrai dans la vie. Les choses se passent ainsi. Ibsen a noté les résultats de ses observations psychologiques et peut-être de son expérience personnelle. Si ces résultats se sont ordonnés chez lui en une vision particulière du monde moral, si, conformément à la nature de son génie, ils ont pris, dans ses œuvres, un aspect suggestif, une valeur symbolique, s’ils ont même créé une force impulsive qui, émanant de l’œuvre d’art, se propage sourdement au sein de la société, c’est que cela devait être. C’est que l’œuvre d’Ibsen est arrivée en son temps et que, de l’esprit de ce temps, le poète avait fortement conscience. Encore une fois, il voulait et, comme Nietzsche, il agissait selon sa volonté, sur le terrain que ses aptitudes lui avaient dévolu. Et ce terrain était excellent.

Le destin, auquel Ibsen, dans ses derniers drames, semble parfois en vouloir, lui avait cependant accordé une faveur cruellement refusée à Nietzsche. Malgré le soin pieux avec lequel l’amour fraternel s’attache