Page:Ibsen - Un ennemi du peuple, trad. Prozor, 1905.djvu/46

Cette page n’a pas encore été corrigée

Et maintenant reportons-nous un peu en arrière. L’impulsion à laquelle obéit Ibsen, nous la retrouvons suscitant un autre homme encore, qui lui était également inconnu, mais auquel Nietzsche, dans les lettres qui viennent d’être publiées, s’adressait comme à un maître. Je ne répéterai pas ici ce que j’ai dit dans la préface de Brand sur le rapport indéniable qui existe entre l’esprit d’Ibsen et celui de Taine. Contempteurs de la société démocratique, de l’état démocratique et même de l’Etat en général, ils sont, en même temps, l’un et l’autre, ennemis des révolutions restreintes, des révolutions politiques dirigées contre un point circonscrit du système, alors que c’est de tout le système et même, à vrai dire, de tout système qu’il s’agit.

Ibsen et Taine sont nés tous deux en 1828, date fatidique, qui fut aussi celle de la naissance de Tolstoï. Tolstoï déteste Ibsen et méconnaît Taine. N’empêche que son activité, destructrice à l’égard des formes sociales, évocatrice d’un état en dehors de l’Etat se joigne forcément à celle de ces deux hommes dans le mouvement auquel Nietzsche imprima l’allure vertigineuse qui, peut-être, lui convient le mieux.

Vertige des sommes ou vertige de l’abîme, peu importe. Le résultat est le même : c’est l’anéantissement de ce qui est au profit de ce qui doit venir, Tolstoï veut y arriver par l’abstention générale conduisant à l’anéantissement de l’Etat. Taine s’y acheminait par l’analyse scientifique, dont l’esprit dissolvant, s’étant une fois emparé de l’humanité, ne laisse rien subsister en elle des dispositions nécessaires au maintien de l’ordre social. Chacun de ces hommes procède con-