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sociale, que Nietzsche va bientôt soutenir à son tour, le principe de l’éternel devenir, en vertu duquel toutes les formes existantes, aussitôt qu’elles ont accompli leur œuvre, sont fatalement vouées à la destruction et, jusque-là, se transforment en danger public, la vérité d’hier étant devenue le mensonge d’aujourd’hui. Il est vrai que le lutteur de Christiania concentre avec moins de précision que le lutteur de Naumburg ses attaques contre le point où s’élève l’édifice chrétien. Il semble même, dans Brand, admettre la possibilité de livrer le combat sur le terrain du Christianisme, en en déplaçant, il est vrai, le centre d’action et en ramenant à l’Horeb ce qui avait été transporté au mont des Oliviers. Mais Stockman, lui, n’a pas de ces soucis. Il se contente d’effacer d’un trait le mot d’ordre du Christianisme, la loi de pardon et de mansuétude. Les termes mêmes dont il se sert déterminent bien son attitude à l’égard de la doctrine chrétienne : « Je ne songe pas, comme le recommandait certain personnage, à vous pardonner parce que vous ne savez ce que vous faites. » Voilà un langage qui ne laisse pas de doute sur les dispositions de l’Ennemi du Peuple et qui rappelle bien celles que Nietzsche accentuait avec une insistance parfois pénible. Bref, il n’y a pas à en douter : une impulsion identique et simultanée faisait parler et agir ces deux hommes, qui ne se connaissaient pas et dont l’un, Nietzsche, avait sur l’autre, Ibsen, des idées erronées, tandis que celui-ci, à l’époque, du moins, où fut écrit Un Ennemi du Peuple, ignorait du premier tout, jusqu’au nom.