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comme de deux agents d’une même force, dont la nature est encore indéterminée et les effets incalculables.

III

Nietzsche ne connaissait pas l’Ennemi du Peuple. Je tiens le fait de bonne source et ce témoignage concorde bien avec un reproche que l’auteur de la Volonté de Puissance fait quelque part à celui des Soutiens de la Société. Le dénouement de cette dernière pièce prend, en effet, une allure quelque peu pédagogique à l’égard d’une société trop vieille pour être régénérée, fût-ce par les moyens les plus radicaux. Nietzsche en fut désagréablement frappé et cette impression se retrouve dans ses notes recueillies et publiées de longues années plus tard. « Que ne laisse-t-il donc tout ce monde marcher à sa perte, dit-il en substance. C’est ce qu’il y a de mieux à faire. » Comme si cette réflexion, encore inexprimée, s’était mystérieusement communiquée à Ibsen, nous la retrouvons presque mot pour mot dans la bouche de Stockman, qui, de découverte en découverte, en arrive, au dénouement, à proclamer irrémédiablement perdue la race à laquelle il s’adressait tantôt et dont il ne songe plus à entreprendre le salut.

Ce personnage, parfaitement inconnu de Nietzsche, a donc élevé avant lui le drapeau du patriciat humain opposé au drapeau de la plèbe humaine, et il y a inscrit, lui aussi, le principe de l’instabilité morale et