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tous les odieux fantômes s’évanouissent. Il a suffi d’un seul mot, d’une courte réplique, d’un simple mouvement de scène, pour évoquer les possibilités nouvelles que commence à entrevoir l’indomptable lutteur.

« Le soleil, le soleil ! » murmurait, dans sa crise dernière, l’infortuné Oswald Alving des Revenants. Et ce mot semblait tirer de la situation une déchirante ironie. Le soleil ne se levait, eût-on dit, que pour éclairer un avenir de désolation et de néant. Mais voici que, dans l’Ennemi du Peuple, par la seule présence des deux fils de Stockman et surtout par celle de leur sœur aînée, cet avenir s’anime, éveille notre attention, enhardit notre espoir. C’est là, à mon sens, le vrai lien qui relie cette pièce à celle qui l’avait immédiatement précédée. Non, vraiment, je ne vois pas là de riposte personnelle d’Ibsen au public norvégien. Stockman n’est pas Ibsen. Si, aux derniers actes, il est conduit à reconnaître les vérités qu’Ibsen, pour sa part, a toujours professées, c’est que Stockman personnifie l’élite à laquelle le poète s’adresse. Ibsen, je l’ai dit ailleurs, ne prêche pas sur la montagne, mais dans la synagogue. Ses pièces ne sont pas des sermons pour la foule. Elle le sent bien et ne lui viendra jamais. Ses pièces sont un régal pour quelques-uns. Dans ce régal, il y a de la moelle de lion, bonne pour les jeunes constitutions, mais il y a aussi de fortes épices, dangereuses pour les débilités. Tant pis pour eux et tant mieux pour l’humanité en marche, qui en sera plus vite débarrassée.

C’est le moment de parler d’Ibsen et de Nietzsche